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la division actuelle de la France en départemens et en arrondissemens, tels qu’ils existent, laisse peu de chose à désirer. En effet, à part la considération des communications et des distances, peu importe que telle ou telle commune dépende de tel ou de tel autre canton, de tel ou de tel autre département ; mais il n’en est pas de même quand il s’agit de phénomènes agricoles. En dehors et au-dessus des causes artificielles de différence qui résident dans les habitudes culturales, les fumures, les labours, les récoltes antérieures de deux terrains dépendant de la même commune, il existe parfois aussi entre ces deux terrains des causes naturelles, immuables, bien autrement puissantes, d’extrême différence. L’altitude du sol cultivé, la nature de ses élémens constitutifs, l’exposition et les circonstances hygrométriques dans lesquelles il se trouve, limitent souvent d’une manière presque fatale les végétaux qu’il peut produire et le degré de fertilité qu’il peut acquérir. Ces conditions radicales, que toute l’industrie de l’homme ne peut que modifier dans une étroite mesure, régissent la France, non pas selon ses divisions administratives, mais selon ses divisions naturelles en plateaux et en collines, en bassins et en vallées. Or, comme la Statistique agricole avait en vue les productions du pays, lesquelles sont soumises à des circonstances naturelles et nullement à des circonstances administratives, il aurait fallu diviser par plateaux et par bassins, et non par arrondissemens, le sol qu’on étudiait.

De tout ceci, que peut-on conclure ? C’est qu’il est encore plus difficile de faire exacte une statistique agricole que toute autre statistique, — que les documens nécessaires doivent être demandés, non pas en aussi grande masse à la fois, mais successivement, afin de ne pas fatiguer la bonne volonté des déposans, non pas à de nombreuses commissions, mais seulement à quelques personnes instruites habitant la campagne, cultivant ou faisant cultiver, et placées dans des conditions telles que leur franchise puisse ne pas être dominée par des préoccupations mesquines ; — que, des chiffres seuls étant trop peu instructifs, il faut toujours leur adjoindre quelques notes explicatives ; — enfin qu’il faut adopter une division par zones dans lesquelles les conditions de culture soient à peu près les mêmes, et non pas une division par arrondissemens administratifs. C’est ainsi seulement que l’on pourra parvenir à toute la perfection désirable. Si j’osais ajouter un mot, je dirais encore qu’un travail aussi vaste et aussi minutieux que celui dont nous parlons ne trouvera jamais sur tous les points du territoire un nombre suffisant de collaborateurs assidus, intelligens et de bonne foi : d’où il suit qu’à une encyclopédie de cette nature il faudra toujours préférer des études partielles ou locales plus modestes, qui auraient du moins le mérite de n’être faites que là où elles pourraient être bien faites, et qui rachèteraient le tort d’être incomplètes par une autorité plus certaine.


L. VILLERMÉ.