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qui se compose d’une petite phrase confiée au hautbois et reprise par l’orchestre tout entier. C’est un joli prélude d’instrumens imitant le ramage des pifferari romains. Le premier duo entre Philémon et Baucis exprimant le bonheur d’une union si longue et si parfaite :

Aimons-nous jusqu’au jour suprême
Où la mort doit fermer nos yeux !


est un morceau agréable, bien modulé dans l’ensemble des deux voix, empreint d’un sentiment doux et placide qui est l’accent familier à la muse de M. Gounod. Le chœur qu’on entend au loin, chœur joyeux des habitans de la ville impie, n’a rien de remarquable, si ce n’est la persistance de deux notes du cor qui vous taquinent l’oreille. Nous ne pouvons citer du trio qui vient après, entre Jupiter, Vulcain et Philémon, que quelques accords d’une harmonie finement burinée. Quant aux couplets de Vulcain :

Au bruit des lourds marteaux d’airain,


cela me paraît plus baroque que comique, dépourvu de verve et d’originalité. La scène de la table entre les deux vieux époux au cœur hospitalier et Jupiter et Vulcain aurait pu devenir le thème d’un beau quatuor que M. Gounod n’a pas su écrire, et qui aurait mieux valu que la mauvaise plaisanterie de la fable de La Fontaine, le Rat de ville et le Rat des champs, que débite Baucis. L’espèce de récitatif par lequel Jupiter se fait connaître aux hôtes qui l’ont si pieusement accueilli est encore de cette vague mélopée sans caractère dont il semble que M. Gounod ne puisse pas se dépêtrer. Qu’il y prenne garde, cela ressemble moins à un parti-pris d’un certain genre de déclamation qu’à de l’impuissance de trouver une idée musicale bien délimitée.

Le second acte transporte la scène chez le peuple voluptueux destiné à périr bientôt par la colère des dieux. Il est précédé d’une introduction ou entr’acte symphonique très piquant et délicatement instrumenté, bien que le motif sur lequel repose le travail de M. Gounod rappelle une idée déjà connue et qui appartient à M. F. David. Cet entr’acte sera entendu de nouveau comme air de danse dans l’orgie qui va suivre, et dont le tableau est la reproduction presque exacte de celui de M. Couture, les Romains de la décadence. Nous avouerons sans détour que la musique de tout le second acte, qui heureusement n’est pas long, est d’une grande faiblesse, et que nous ne pouvons y signaler, par un excès de scrupule, que le second chœur qui forme le finale de cette flasque peinture de voluptés morbides dont les théâtres abusent et fatiguent le public. Nous pourrions même reprocher à M. Gounod avec justice d’avoir cherché volontairement des harmonies singulières visant à l’archaïsme dont la musique dramatique n’a vraiment que faire.

C’est au troisième acte, selon nous, que se trouvent les meilleurs morceaux de la nouvelle partition de M. Gounod. Redevenus jeunes, les deux époux modèles expriment le ravissement qu’ils éprouvent de pouvoir recommencer la vie dans un duo agréable qu’on voudrait plus passionné et d’un style plus large. C’est plutôt un joli nocturne qu’une scène d’amour ardent, comme la situation l’aurait exigé. Nous en dirons autant des couplets galans que Jupiter adresse à Baucis, dont il s’est épris comme un étudiant de première année : c’est froid et peu digne du personnage à qui l’on fait débiter