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sa femme et embrassé ses deux enfans, retourna à l’ouvrage, en se promettant de confesser tout à fait son ami une autre fois. Celui-ci resta au bord du Saut-d’Enfer, plongé dans ses réflexions. Quand il se décida à suivre l’exemple de Gaucher, il vit, en se retournant, la femme de celui-ci, qui s’était approchée pour lui parler.

— Sept-Épées, lui dit-elle, avez-vous fait confidence à mon mari de ce qui vous tourmente ?

— Non, Lise, répondit-il ; nous avons causé d’autre chose.

— Eh bien ! reprit-elle, vous avez eu tort : mon Louis est homme de bon conseil, et je voudrais qu’il vous décidât à quelque chose. Vous savez bien que vous ne pouvez pas rester plus longtemps sans dire à Tonine : C’est oui ou c’est non. Ce ne serait pas d’un honnête homme !

Sept-Épées leva les épaules, non pas d’une façon méprisante, mais au contraire de manière à faire comprendre qu’il souffrait beaucoup de ne pouvoir répondre comme Lise le désirait. Elle eut pitié de son air triste. — Venez souper chez nous ce soir, reprit-elle. Peut-être que le cœur vous dira de consulter Gaucher.

— Vous ne lui avez donc parlé de rien ?

— Non ! vous m’avez demandé le secret, et je l’ai gardé, parce que vous promettiez de parler vous-même.

— Eh bien ! reprit Sept-Épées, donnez-moi encore vingt-quatre heures,… à moins que je n’aille souper chez vous dès aujourd’hui. Oui ! j’irai,… je tâcherai d’y aller ! — Et il retourna au travail, laissant la jeune femme peu satisfaite de cette réponse et inquiète de l’avenir de Tonine.



II.


Tonine Gaucher était la cousine germaine de Louis Gaucher. Orpheline comme Sept-Épées, elle ne possédait rien au monde que ses dix doigts, dont elle faisait bon usage. Elle était plieuse dans une papeterie située en face de la coutellerie où travaillaient son cousin et son amoureux.

Car il était amoureux d’elle, le jeune armurier, et il le lui avait déclaré en lui demandant la permission de se promener le dimanche avec elle ; mais elle avait refusé, disant : — Demandez l’agrément de mon cousin et de sa femme, ce sont mes seuls parens, et je ne veux rien décider sans leur conseil.

— Ne voulez-vous pas leur parler de moi ? avait dit Sept-Épées.

— Non ! ce n’est pas à moi de leur parler de vous la première, je