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la grâce, il écrivait des livres ascétiques[1], philosophait aussi, c’est-à-dire cherchait la pierre philosophale.

Sainte-Croix, au retour de la guerre, avait vécu chez un ami, le marquis de Brinvilliers, avec qui il avait servi. Celui-ci, fils d’un président des comptes, mais devenu homme d’épée, courait le monde et les plaisirs, négligeait trop sa jolie petite femme, qu’il avait cependant épousée par amour. Fille d’un magistrat, M. d’Aubray, elle avait peu de fortune, mais beaucoup de grâce et d’esprit. Elle était parente du pieux chancelier de Marillac, le traducteur de l’Imitation. Sa sœur était religieuse aux carmélites de la rue Saint-Jacques, ses filles pensionnaires aux carmélites de Gisors et de Pontoise. Elle-même vivait recueillie dans son triste hôtel de la rue Neuve-Saint-Paul, au Marais, près de l’église des jésuites. Elle remontra à son mari qu’on jaserait peut-être de l’amitié de Sainte-Croix. Il ne l’écouta pas, exigea au contraire qu’il l’occupât, la consolât. Elle se résigna.

Tous trois vivaient en parfaite union. Quoique la marquise fût obligée, par les mauvaises affaires de son mari, de se séparer de biens, elle vécut toujours avec lui en bonne intelligence, et lui, il l’aima jusqu’à la mort. Le vieux père de la marquise, moins tolérant, ne comprenant rien à la haute spiritualité, s’indignait de ce ménage, et disait que Sainte-Croix était un fripon qui exploitait les deux époux. Il obtint une lettre de cachet pour le faire mettre à la Bastille. Là, Sainte-Croix philosopha avec un autre chercheur du grand œuvre, Exili, que le peuple médisant disait fabriquer des poisons. La légende voulait qu’il eût été à Rome empoisonneur en titre de Mme Olympia, reine de Rome sous Innocent X, et que par ce talent il eût procuré à la dame cent cinquante morts subites dont elle hérita.

La Bastille sembla porter bonheur à Sainte-Croix. Entré gueux, il en sortit riche. Il se maria, prit hôtel, laquais, porteurs, carrosse. Il eut un intendant, outre ses vieux serviteurs de confiance, George et Lachaussée, qu’il céda pourtant, l’un à Hanyvel, l’autre à Mme de Brinvilliers, qui le plaça chez les Aubray. Chose bizarre, tout comme Hanyvel, ces Aubray meurent subitement, le père Aubray d’abord, puis bientôt les deux frères (1666-1669).

Sainte-Croix était en belle passe. Son ami, Penautier, allait le cautionner pour acheter une charge dans la maison du roi ; mais il devint malade. Penautier s’alarma ; craignant qu’il ne mourût, il envoya chercher des papiers qu’il avait chez lui. Quoique la maladie ne fût pas longue, Sainte-Croix eut le temps de remplir tous ses devoirs et fit une très bonne fin. Ce qu’on a dit d’une expérience

  1. Mémoires pour la veuve Hanyvel, p. 6.