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asile. Il lui donna deux lettres de change pour lui faciliter la fuite. Si elle avait eu le courage de refuser et de rester, on eût probablement arrangé son affaire pour l’honneur de la magistrature. Elle partit, laissa le champ libre à sa belle-sœur, qui obtint contre elle un arrêt de mort par contumace.

Elle était réfugiée dans un couvent de Liège ; mais d’autres affaires rappelaient trop la sienne, spécialement celle du musicien Lulli (1675), qui faillit être empoisonné par un de ceux qui passaient pour avoir fait périr Mme Henriette. La belle-sœur de la Brinvilliers ne la perdait pas de vue. On avisa pour l’enlever. Malgré toute sa dévotion, elle s’ennuyait avec ses nonnes. Elle était encore agréable, mondaine au fond et d’esprit romanesque. Forte dans sa petite taille et de nature sanguine, elle n’était nullement insensible aux tendres impressions. Le jargon doucereux de la dévotion galante pouvait la prendre. On lui dépêcha un exempt, homme d’esprit, bien fait, parleur facile. On le travestit en abbé. Il s’établit à Liège ; il l’amusa, l’amadoua de mysticité amoureuse, et, comme elle n’était point cloîtrée, la promena hors du couvent. Là, tout à coup il se démasque. L’ami, l’amant, le directeur se révèle espion et bourreau. Il la jette dans une voiture, entourée d’archers, la ramène à Paris. Le pis pour elle, c’est qu’on avait saisi sa confession, écrite tout au long par elle-même. L’extrait que nous en avons donne l’idée d’une pièce bizarre et très confuse. Elle y met à la suite, comme sur la même ligne, des crimes épouvantables et des puérilités. Elle a brûlé une maison. Elle a empoisonné son père et ses frères ; plus, tels menus péchés de petite fille, etc., tout cela pêle-mêle. Elle note plus fortement ce qui est contre la loi canonique et les commandemens de l’église.

Elle avait beau dire qu’elle avait écrit dans un accès de fièvre, elle sentait qu’on ne s’arrêterait pas à son dire. Elle s’adressa à un archer et crut l’avoir gagné. Il lui donna papier et encre, et elle écrivit deux fois à Penautier d’agir pour elle. Ces lettres n’arrivèrent pas et servirent au procès. Elle était fort légère et se confiait à cet archer, qui la faisait parler. « Penautier, disait-il, est donc intéressé à l’affaire ? — Autant que moi-même, et il doit avoir encore plus de peur. Du reste, si je parlais, il y a la moitié des gens de la ville (et de condition) qui en sont, et que je perdrais ;… mais je ne dirai rien. » Elle le répéta par deux fois[1]. Il paraît qu’en effet, outre le financier, d’autres personnes étaient intéressées à ce qu’elle n’arrivât point à Paris. Un gentilhomme vint, tâta les archers sur la route, essaya, mais en vain, de les apprivoiser.

Elle avait fort compromis Penautier, surtout en lui écrivant de

  1. Interrogatoire manuscrit de l’archer Barbier, 15 mai 1676.