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un peu, finit par s’attendrir ; lui aussi, et profondément. Tous deux pleurèrent en abondance, à torrens, toute une heure et demie. Elle lui avoua alors qu’elle avait profité de la question, s’était vengée par la question même, avait lancé des calomnies contre un témoin, contre l’exempt qui l’avait arrêtée, l’accusant d’avoir détourné des papiers.

Elle eût voulu se mettre à genoux pour faire l’acte de contrition ; mais ses jarrets ne pliaient pas. Elle se courba seulement, en appuyant ses mains liées sur celles de Pirot. Ces prières de la dernière heure, qu’on eût dû respecter, étaient interrompues par momens. Il semblait que le monde, après l’avoir perdue, s’acharnait, revenait pour lui ôter les pensées du salut. Un créancier perça les murs pour ainsi dire, et réclama par la voix du bourreau ; c’était un carrossier à qui plusieurs années auparavant elle avait acheté une voiture de 1,500 livres (6,000 fr. d’aujourd’hui). Une autre distraction aussi lui fut pénible ; elle avait une fausse dent et l’avait donnée à sa gardienne pour la brûler. Cette femme n’osa pas, consulta, la montra. Mme de Brinvilliers en fut triste et mortifiée.

On voulait faire rentrer dans leur chambre les prisonniers qui se promenaient dans la galerie où elle allait passer pour lui épargner leurs propos. Pirot, loin d’accepter, voulut qu’ils pussent même entrer dans la chapelle, où l’on exposa le saint-sacrement. Elle semblait si ferme et si calme que les assistans se mirent à dire qu’elle semblait une Marie Stuart. « Ah ! dit-elle, quelle comparaison ! elle était aussi innocente que je suis coupable ! » Elle dit que pour cette grâce qu’on lui faisait d’exposer le saint-sacrement, elle aurait donné tout son sang, et que ce bonheur lui tiendrait lieu de la communion, qu’on ne pouvait lui accorder.

Sortie de la chapelle, elle vit dans la galerie une douzaine de personnes, et elle eut honte. De ses mains liées, elle fit si bien qu’elle se rabattit un peu sa coiffe sur le visage. Le bourreau était en avant, son valet la menait assez rudement ; elle lui dit avec humilité : « Monsieur, je sais que je n’ai plus rien qui ne doive vous revenir. Permettez-moi pourtant de donner à monsieur ce chapelet pour ma sœur ; il est de peu de prix. »

Arrivée au vestibule de la Conciergerie, entre la cour et le premier guichet, le bourreau la fit asseoir, et lui dit qu’il allait l’arranger pour l’amende honorable, lui passer la chemise. Elle s’imagina qu’on voulait la déshabiller : sa pudeur s’alarma ; mais cette chemise était mise sur les habits. Elle était de toile ordinaire, très ample, à plis flottans. C’est ce qui lui donne l’air d’une grosse femme dans le dessin de Lebrun, quoiqu’elle fût plutôt svelte et mince. Le bourreau acheva en lui mettant la corde au cou et lui relevant sa cornette pour qu’elle fût mieux vue.