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j’avais conçues, sinon pour moi-même, au moins pour les excellens officiers qui m’avaient si bien secondé, ne tardèrent point à s’évanouir. Une crise ministérielle amena au pouvoir une nouvelle administration. Les promesses des ministres ne font guère partie de l’héritage qu’ils se transmettent : on jugea néanmoins que mon expérience pouvait être utilisée pendant les loisirs mêmes que devait me laisser l’intervalle de deux campagnes, et au mois de juillet 1822 on me confia le soin d’inspecter les quartiers de l’inscription maritime de Brest à Dunkerque. Je pus rapprocher mes observations de celles que j’avais recueillies huit ans auparavant dans une inspection semblable. Je retrouvai encore accrue cette précieuse réserve de matelots qui n’a pas sa pareille au monde. Les désastres de la république et de l’empire étaient loin de nous avoir fait une situation irréparable ; il nous restait sur nos côtes, parmi ces populations qui de Dunkerque à Bayonne se livrent à la petite pêche, une excellente pépinière de marins. C’était là une ressource qu’il importait de ménager et de se conserver à tout prix, car on l’avait constamment sous la main et prête à obéir à la première sommation. — Il fallait donc, écrivais-je quelques mois plus tard au ministre, faire quelques sacrifices en faveur de braves gens auxquels on en demandait sans cesse. Si l’on voulait avoir une marine, il fallait se décider enfin à encourager sérieusement l’agriculture de la mer. — Le gouvernement de la restauration était très disposé sans doute à favoriser de pareils projets ; mais c’était un gouvernement pauvre, disputant péniblement un budget insuffisant à des finances épuisées. En fait de marine, il ne put guère avoir pendant quatorze ans que de bonnes intentions. En échange du volumineux rapport que je remis au ministre, il me fut adressé une lettre de félicitations ; puis ce travail, qui m’avait coûté tant de recherches et de fatigues, alla s’enfouir dans les cartons, où l’on pourra le retrouver un jour, s’il prend jamais fantaisie à quelque archéologue de l’y aller chercher.

Les glorieux souvenirs de la monarchie n’en fournissaient pas moins, sous la restauration, plus d’une inspiration heureuse au ministère de la marine. M. de Clermont-Tonnerre, comme son prédécesseur le baron Portal, se défendait avec soin de subir les idées des novateurs, qui ne rêvaient plus pour la France que la guerre de corsaires. Quelque restreintes que fussent les ressources de son département, il aimait à prévoir le jour où notre pays, reprenant en Europe le rang dont ses malheurs l’avaient fait déchoir, aurait de nouveau l’ambition de posséder des escadres. Aussi M. de Clermont-Tonnerre songeait-il à entretenir chez nos officiers l’habitude des mouvemens d’ensemble, à les familiariser de bonne heure avec les grandes leçons1 de la tactique navale. Ce fut dans cette pensée qu’une escadre