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impunément leurs croisières, si les flottes de l’Escaut, de Toulon et de Brest n’avaient retenu devant nos ports bloqués la presque totalité des forces anglaises ? Je ne crains pas de le dire : c’est avec un vif sentiment d’espérance et d’orgueil que j’ai souvent étudié ce glorieux passé, où je retrouve sous Louis XIV les combats de Stromboli, d’Agosta, de Bantry, de Beveziers et de Velez-Malaga, sous Louis XV ceux de Toulon et de Minorque, sous Louis XVI la savante journée d’Ouessant, l’affaire de la Grenade, les trois rencontres de M. de Guichen avec l’amiral Rodney, les opérations du comte de Grasse sur la côte d’Amérique, et dans les mers de l’Inde l’immortelle campagne de Suffren. Quelles annales la guerre de course pourrait-elle opposer à celles-là ?


II

Dans un grand état où l’activité ne se concentre pas tout entière à l’intérieur, la marine a un double devoir à remplir. Son premier soin doit être d’acquérir toute la valeur que la discipline et le bon ordre peuvent donner à une flotte. À ce point de vue, la marine ne saurait mieux faire que de concentrer ses bâtimens, en d’autres termes, de rassembler des escadres. Elle a cependant autre chose à faire encore ; elle doit assurer sur tous les points du globe une protection efficace à ce commerce extérieur dont les progrès se lient de la façon la plus étroite à son propre développement. Cette protection s’exerce d’ordinaire par des bâtimens isolés ; elle a donné naissance au service des stations navales. La France entretient aujourd’hui neuf ou dix de ces stations, établies, les unes dans les parages où notre commerce entretient des relations suffisamment actives, les autres dans les mers où nous cherchons à le faire pénétrer. La station qui en 1825 tenait le premier rang était la station de la mer des Antilles et du golfe du Mexique. La navigation privilégiée avait, dès le principe, resserré les rapports entre nos colonies et la métropole. Quelques années plus tard, l’émancipation des états de la Côte-Ferme, constitués en république sous le nom de Colombie, y avait attiré les capitaux aventureux qui consentaient à courir de grands hasards pour réaliser d’énormes bénéfices. En somme, le marché des Antilles méritait sous tous les rapports la sollicitude que lui accordait à cette époque le gouvernement français. Cet intérêt explique comment, au lieu de réunir une escadre d’évolutions sur nos côtes ou dans la Méditerranée, M. le marquis de Clermont-Tonnerre avait fait choix du vaste bassin dans lequel s’étaient mesurées autrefois les flottes de M. de Guichen et du comte de Grasse contre l’armée de l’amiral Rodney, Le ministre m’avait prescrit de