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qui commençait à devenir compromettant, fut complètement abandonné. Le pavillon colombien et le pavillon espagnol furent désormais les seuls qu’arborèrent les corsaires des Antilles et de la Côte-Ferme. La plupart de ces navires, armés pour la course, étaient commandés par des Américains ; quelques-uns avaient des capitaines anglais ou français. Le champ qui leur était ouvert était vaste. Ils avaient mission de confisquer la marchandise ennemie sous le pavillon neutre, et d’arrêter tout navire soupçonné de vouloir entrer en communication ou d’avoir communiqué avec un des ports qu’un blocus général avait rigoureusement frappés d’interdit. Forts de ce mandat, les corsaires arrêtaient indistinctement tous les navires neutres, les soumettaient à une visite brutale, et ne les relâchaient presque jamais sans avoir pillé une partie de la cargaison. Le brick le Télégraphe venait d’être saisi et dévalisé par un corsaire espagnol, le Romano, armé à Cuba ; l’Uranie avait été capturée par deux corsaires colombiens, la Centinela et le Polly-Hampton, armés à Puerto-Cabello. Nous avions donc à la fois, en 1824, des réclamations à faire valoir à La Havane et à Caracas.

L’audace des forbans, qui rendait si périlleuse, à cette époque, la navigation de la mer des Antilles, était fort encouragée, il faut bien le dire, par l’impunité que toutes les nations civilisées, à l’exception toutefois de l’Angleterre, semblaient vouloir accorder à leurs excès. Le 22 février 1823, un vaisseau français, portant pavillon de contre-amiral, avait capturé, après trente heures de chasse, dans les parages des Açores, un corsaire espagnol, la Veloz-Marianna, qui l’avait provoqué par deux coups de canon à boulet. Ce corsaire, armé de vingt-quatre pièces de 12, portait à Cadix 3 millions de francs en espèces et une cargaison de vanille, d’indigo et de cochenille d’une valeur au moins égale. Conduit à la Martinique, il fut, à la demande du gouvernement espagnol, renvoyé en France sous escorte et restitué quelques mois plus tard aux propriétaires. La Panchita, corsaire colombien, avait commis divers actes de piraterie envers des bâtimens américains. Rencontré par la goélette le Grampus, que commandait le lieutenant Gregory, ce bâtiment soutint contre la goélette américaine un combat en règle, et ne se rendit qu’après avoir eu vingt hommes tués ou blessés ; envoyé aux États-Unis, il fut jugé à Charlestown par la cour de l’amirauté. C’était un pirate avéré ; il obtint 32,000 piastres de dommages-intérêts !

On ne saurait croire à quel point d’insolence cette inexplicable faiblesse porta les prétentions de la marine colombienne. On la vit à l’instant multiplier ses armemens et se montrer à la fois dans tous les débouquemens des Antilles. Le gouvernement de Caracas possédait, outre cinquante goélettes garde-côtes, huit ou neuf corvettes