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décourageante. Était-ce la faute des mécaniciens ou celle des organes dont on leur confiait la conduite ? C’était, si je ne me trompe, la faute de l’homme aussi bien que celle de l’instrument. Maintenant que nous sommes parvenus à faire de bonnes et solides machines, nous serions sans excuse si nous les laissions entre des mains douteuses ou inhabiles.

Tout ce qui tient à la navigation m’inquiète bien plus en France que ce qui concerne le combat. Chez les Anglais, la responsabilité de la navigation se partage entre le commandant et le master[1]. Chez nous, elle appartient tout entière au commandant. On ne tarderait pas à regretter, j’en suis convaincu, si une guerre maritime éclatait, cet abus inconsidéré des forces humaines. Sans doute alors, instruits par l’expérience, nous irions demander à nos côtes des pilotes. Nos côtes, en ce besoin pressant, nous fourniraient-elles des hommes que l’on pût employer en dehors du cercle étroit où chaque pilote enferme d’ordinaire sa vie ? L’institution des masters, commune à la plupart des marines étrangères, pénétrerait, je le sais, très difficilement dans nos mœurs ; mais je crois qu’on y pourrait suppléer par une institution qu’il s’agirait moins de fonder que de faire revivre. Les chefs de timonerie de nos jours ne sont que les successeurs dégénérés des pilotes-majors d’autrefois. Qu’on les recrute désormais parmi les meilleurs pilotes-lamaneurs de nos côtes ou parmi les plus intelligens de nos capitaines-caboteurs ; qu’une solde élevée attire et retienne dans cette branche de la maistrance des hommes habitués dès l’enfance aux navigations difficiles, ayant pour ainsi dire reçu avec le lait maternel l’instinct du pilotage ; que chaque station conserve le plus longtemps possible ses chefs de timonerie ou ses pilotes-majors attitrés, et nous n’aurons plus à envier à la marine anglaise ses masters. Le service des signaux, qui compose aujourd’hui la principale fonction de la timonerie, n’en sera plus qu’un détail secondaire. Le timonier, justifiant enfin le nom qu’il a gardé, aura retrouvé ses attributions importantes : il aura repris le timon du navire.

Sans avoir besoin de s’imposer des sacrifices exagérés, sans provoquer les puissances rivales à de folles dépenses, mais aussi sans cesser jamais d’observer et de suivre les progrès des marines quelle peut avoir un jour ou l’autre à combattre, la France doit avoir constamment présente à l’esprit la nécessité d’un bon armement dès le début de la guerre. Nous avons d’excellentes écoles spéciales, nous en créerons peut-être d’autres : sachons leur demander non-seulement des sujets pour les besoins limités de la paix, mais une importante

  1. Les masters anglais ont la réputation de mieux connaître nos côtes que la plupart de nos officiers. Il est certain qu’ils en font, à la différence de nos officiers, l’objet d’études sérieuses qu’on voit se renouveler presque périodiquement.