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En délaissant les formes conventionnelles pour se rapprocher de la nature, il avait donné à ses personnages plus de beauté en même temps qu’une réalité plus grande, et à ses compositions ce caractère tragique qui semble inhérent à son mâle et cependant gracieux génie. En soumettant la peinture aux règles de la perspective linéaire, Paolo Uccello en avait décuplé les ressources et lui avait permis de multiplier les plans, d’utiliser les accessoires et les épisodes, d’arriver à une science précise du modelé et du raccourci. Mazolino et surtout Masaccio, par la précision, l’ampleur et l’élégance du dessin jointes à la vigueur du coloris, par leur entente du clair-obscur, leur goût dans les ajustemens,.complétèrent cette somme des moyens matériels sans laquelle il n’est point possible de donner aux idées les plus sublimes une forme définitive ni une signification certaine. Enfin les perfectionnemens apportés par les frères Van-Eyck aux procédés de la peinture à l’huile, que Jean Belin adopta presque aussitôt, permirent de donner aux tons plus de transparence et de vivacité, plus de relief aux formes par conséquent, et facilitèrent les retouches que la fresque ne comportait pas. Les Pisani, les Ghiberti, les Donatello avaient amené la sculpture par les mêmes étapes au même résultat. Brunelleschi avait élevé le dôme de Santa-Maria del Fiore, et Bramante commençait à construire les palais et les églises qui sont restés les modèles les plus accomplis de cette admirable architecture de la renaissance, où un goût si délicat et si pur s’allie à tant de force et d’élévation.

Léonard de Vinci eut l’inestimable fortune de venir au moment précis où il pouvait le mieux développer ses éminentes facultés. Il naquit au château de Vinci, près d’Empoli, dans le Valdarno, en 1452 et non en 1445, comme le disent la plupart de ses biographes. Il était fils naturel d’un obscur notaire de la seigneurie de Florence, ser Piero, et d’une certaine Catarina dont l’histoire ne parle pas davantage. Quoiqu’il ait eu trois femmes légitimes, ser Piero prit chez lui le jeune Léonard ; il l’éleva, semble-t-il, avec beaucoup de soin, et on croit même qu’il le légitima. L’enfant montra de bonne heure les plus rares dispositions, mais aussi cette inconstance, cette versatilité qui, pendant tout le cours de sa vie, le firent passer d’une étude à une autre sans pouvoir s’arrêter à rien ni se fixer. À peine avait-il étudié pendant quelques mois l’arithmétique, qu’il embarrassait son maître par ses doutes et par ses questions. Très jeune, il était bon musicien et s’accompagnait de la lyre en chantant des vers qu’il improvisait ; mais dès lors un goût dominant le portait vers les arts du dessin : « c’était là, dit Vasari, sa fantaisie la plus forte. »

Ser Piero, frappé des dispositions extraordinaires de son fils, prit