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cette sécheresse que Léonard, semble-t-il, n’a perdue qu’à partir de son retour en Toscane. Le portrait de Lucrezia est cependant un chef-d’œuvre. On pense qu’il a été peint vers 1497, lorsque Louis le More, revenu de sa dévotion, se fut rattaché à cette femme, dont il eut même alors un fils, nommé Giovanni Paolo. Elle est vêtue d’une robe rouge ornée de broderies et de bandes d’or. La tête est de trois quarts ; les cheveux, en bandeaux très lisses, sont retenus par une ganse noire, ornée d’un diamant, qui passé sur le front. On a pris longtemps ce portrait pour celui de la maîtresse de François Ier, la femme du drapier Féron, et on la nomme encore la belle Féronnière. Quant à celui d’une autre des maîtresses de Louis, la belle Cecilia Gallerani, il se trouvait encore au siècle passé chez le marquis Bonevana ; mais il paraît irrévocablement perdu : Léonard semble l’avoir répété plusieurs fois. C’est elle que les caprices érotiques de Louis lui imposèrent le plus souvent comme modèle pour les tableaux religieux qu’il lui commandait. On a cru la reconnaître dans la Sainte Cécile de la galerie de Munich ; d’autres portraits d’elle, également déguisée en sainte, étaient conservés chez le professeur Franchi à Milan et chez les Pallavicini de San-Calocero. Enfin Amoretti vit à Milan, chez un marchand de vin, un tableau dont il parle avec admiration : c’était une Vierge tenant une rose que l’enfant Jésus bénissait, et pour qu’on ne pût se tromper sur l’intention qui avait dicté cette composition, on avait écrit au bas du tableau ces deux vers :

Per Cecilia qual te orna, lauda e adora
El tuo unico filio, o beata Vergine, exora !

C’est comme ingénieur, on se le rappelle, que Léonard s’était avant tout proposé à Louis le More ; jusqu’au moment où il commença la Cène, ses travaux d’architecture, de sculpture, ainsi que l’organisation de l’académie de Milan et son enseignement, l’absorbèrent presque tout entier. Les études préparatoires qu’il avait faites pour la Cène, les difficultés qu’il avait dû rencontrer dans l’exécution de ce grand ouvrage, en le rendant de plus en plus maître des moyens matériels de son art, complétèrent cette somme de connaissances, d’expérience, que son esprit sagace et avide de perfection allait bientôt si admirablement mettre en œuvre. C’est à partir de son second séjour à Florence, depuis l’année 1500 environ, que sa peinture, déjà si remarquable par un dessin précis et serré, par un relief vigoureux, prit cette largeur, cette finesse élégante et cette grâce, ce modelé souple, moelleux, inimitable, ce sfumato merveilleux qui fait dire à Vasari que « cette peinture fait le désespoir de tout peintre excellent. »

Trois tableaux conservés au Louvre, la Vierge et sainte Anne,