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part aux fêtes que l’on donnait au jeune vainqueur. Il éleva pour François Ier des arcs de triomphe comme il avait fait pour Louis le More. C’est à Pavie qu’il construisit ce fameux lion automate qui marcha jusqu’au roi, se dressa, et dont la poitrine, en s’entr’ouvrant, laissa voir les fleurs de lis que le peintre courtisan y avait mises. À Bologne, où le roi eut une entrevue avec le pape, l’amour-propre de Léonard se dédommagea des blessures qu’il avait reçues à Rome. Il prit plaisir à se montrer au milieu des courtisans de François Ier, et il se divertit à dessiner en caricatures les personnages qui entouraient Léon et dont il avait eu à se plaindre. François l’emmena en France au commencement de 1516, et lui alloua une pension de 700 écus. Léonard s’établit au château de Clou près d’Amboise. Son fidèle Melzi l’avait accompagné. Pendant les trois années et demie qu’il passa en France, il ne s’occupa que d’un projet de canal qui devait traverser la Sologne en passant par Romorantin. Il était vieux, fatigué, ennuyé : sa santé déclina de jour en jour, et il mourut le 2 mai 1519. Les circonstances romanesques que rapportent les biographes sur les derniers momens de Léonard de Vinci n’ont aucune vraisemblance. Il ne mourut pas dans les bras de François Ier, très occupé alors des élections à l’empire, et qui, d’après le Journal de la Cour, ne fit aucun voyage avant le mois de juillet de cette année 1519. Le roi, au moment de la mort de Léonard, était à Saint-Germain, où la reine venait d’accoucher. Les ordonnances du 1er ma sont datées de cette résidence, et Melzi, dans la longue lettre[1] qu’il écrivit aux frères de Léonard pour leur annoncer la perte qu’ils venaient de faire, ne mentionne point une circonstance assez importante pour qu’il n’eût pas manqué de la noter.

Vasari, qui ne perd pas une occasion de faire montre d’orthodoxie, a très nettement accusé Léonard d’impiété. « Il était tellement infecté de notions hérétiques, dit-il dans sa première édition, qu’il ne croyait à aucune espèce de religion, et qu’il mettait la philosophie bien au-dessus du christianisme. » Il modifia plus tard cette version en disant « qu’ayant vécu jusque-là sans religion, il tourna ses pensées avant de mourir vers les vérités catholiques. » Le biographe se trompe. Léonard fit son testament, qu’Amoretti nous a conservé, dès le 13 avril 1518, c’est-à-dire plus d’un an avant sa mort. Il y recommande son âme, non-seulement à Dieu, « mais à la glorieuse vierge Marie, à tous les saints et à toutes les saintes du paradis et à monseigneur saint Michel. » Il demande que « dans chacune des trois églises d’Amboise on dise pour lui trente messes basses outre les trois grand’messes. » On a beaucoup insisté sur ces circonstances : pour nous, qui n’avons à juger que le caractère de l’homme et la

  1. Venturi, Essai sur les Ouvrages physico-mathématiques, etc.