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des Pyrénées sont, tout comme le carlin et le king-charle’s, rangés par les naturalistes dans l’espèce chien ; mais les caractères qui les séparent, bien que n’étant pas spécifiques, sont assez prononcés, assez permanens, pour qu’on soit obligé de subdiviser l’espèce en ce que l’on nomme des variétés, analogues à nos races humaines. L’homme, chacun le sait, a créé lui-même une foule de variétés : il a modifié, il modifie encore à l’infini les fleurs, les arbres fruitiers ; il a fait des bœufs sans cornes, des porcs aux proportions monstrueuses ; il alourdit à son gré le cheval pour le trait ou l’allonge pour la course. « Lord Somerville, nous raconte M. Darwin en parlant des résultats obtenus par les éleveurs de moutons, disait avec raison : Il semblerait qu’ils aient dessiné sur un mur à la craie une forme parfaite, puis qu’ils aient donné l’existence à cette image. » Un très habile éleveur, sir John Sebright, avait coutume de dire, au sujet des pigeons, qu’il pouvait en trois années obtenir tel plumage qu’il désirait, mais qu’il lui en fallait six pour la tête et le bec.

Si les espèces, suivant l’expression hardie de Buffon, étaient « les seuls êtres de la nature, » les caractères qui ne sont pas spécifiques, qui ne font point partie, en quelque sorte, du type fondamental, ne devraient jamais se perpétuer. Bien des exemples prouvent pourtant qu’ils se transmettent. Qui n’a entendu parler du nez des Bourbons, de la lèvre autrichienne ? Un médecin célèbre de Paris a les deux petits doigts des mains entièrement courbés, et cette singularité remonte à plusieurs générations. Je connais deux familles dont tous les membres offrent une disposition des dents très particulière : dans l’une, les deux incisives principales sont séparées par un intervalle d’une grandeur tout à fait inusitée ; dans l’autre, les racines des molaires sont tellement recourbées en forme de crochet, que l’extraction en est presque impossible. Le docteur Prosper Lucas a rempli deux volumes, singulièrement curieux, d’exemples de ce genre[1]. C’est en discernant avec habileté les caractères susceptibles d’une transmission régulière que les éleveurs parviennent à modifier et à créer artificiellement des races, car, en réglant avec soin la succession des générations, on avance pas à pas vers le but que l’on veut atteindre. Le résultat définitif renferme la somme totale de tous les progrès partiellement accomplis. Ce procédé se nomme la sélection. En Saxe, l’importance de ce principe est si bien comprise pour les moutons mérinos, que la sélection y est devenue un métier : on met les moutons sur une table, et on les étudie comme un connaisseur examine un tableau : cela se renouvelle tous les

  1. Traité de l’Hérédité naturelle dans les états de santé et de maladie du système nerveux, par le docteur Prosper Lucas, 2 vol. in-8o. Paris, 1847-1850.