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NOUVELLE THÉORIE D’HISTOIRE NATURELLE.

six mille ans dans l’histoire du monde ? Pour combien doivent compter deux cents générations humaines auprès de ces innombrables générations d’êtres qui se sont succédé sur notre planète depuis que le refroidissement l’a rendue habitable ?

Si la théorie de M. Darwin est exacte, les changemens qui s’opèrent dans le monde physique ont pour effet d’arrêter le développement de certains êtres, de favoriser au contraire celui d’autres variétés, mieux adaptées aux circonstances nouvelles. Le problème, si longtemps agité, de la transformation des espèces reçoit ainsi une solution plus rationnelle, plus séduisante que toutes celles qu’on a proposées. Sans affirmer absolument, avec les adeptes de Lamarck, que les organes s’atrophient et se modifient dans chaque espèce au gré des besoins qu’elle éprouve, il suffira d’admettre que les individus et les races ayant des caractères divers, ces caractères, transmissibles par la génération, peuvent devenir, dans certains cas, des germes mortels et des motifs d’extinction, dans d’autres des gages de puissance et de perpétuité.

Si nous considérons seulement les races humaines, il est bien certain que les guerres, les migrations, les conquêtes qui en remplissent l’histoire ont dû forcément amener de très notables changemens dans leur distribution et leur importance relatives. S’il nous était possible de comparer la population actuelle de la terre à celle qui vivait il y a six siècles, nous serions sans doute étonnés de voir qu’une si grande révolution ait pu s’accomplir en si peu de temps. Certaines races privilégiées ont gagné tout le terrain que d’autres ont perdu : l’Indien, repoussé de plus en plus loin dans les prairies, ne mène plus aujourd’hui qu’une existence misérable ; sans parler des luttes sanglantes qu’il a soutenues contre les blancs, et où son indomptable courage n’a servi qu’à retarder une défaite inévitable, il est aujourd’hui devenu la victime des passions brutales dont la civilisation lui procure la facile satisfaction. Les descendans des grands guerriers dont les exploits légendaires sont remplis d’une si sauvage poésie finissent leurs tristes jours dans la misère et l’ivrognerie. Les habitans de la Nouvelle-Hollande ont été chassés des belles régions que la race anglo-saxonne couvre de ses colonies prospères ; ils ont dû se réfugier dans l’intérieur de l’Australie : une terre aride, d’immenses déserts de sable, des taillis où ils ne trouvent pas d’eau et presque pas de gibier, leur servent encore d’asile ; mais le nombre des aborigènes diminue chaque jour, et comme ils ne se croisent point avec les émigrans, toute trace de leur type hideux, le plus bestial et le plus grossier peut-être qu’on ait jamais rencontré, sera bientôt complètement effacée.

En étudiant ces représentans dégradés de l’espèce humaine, on a plus d’une fois été conduit à soutenir qu’il y a une filiation directe