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livre, avec une entière bonne foi, tous les argumens favorables ou contraires à sa doctrine de la transformation des espèces par la sélection naturelle. Qu’on nous permette de les exposer à notre tour en terminant cette étude.

Au premier abord, rien ne paraît plus difficilement admissible que la transformation des organes, des caractères, des instincts par l’accumulation répétée de variations extrêmement légères ; mais il y a bien certainement dans la nature organique une plasticité, une disposition au changement que la domesticité nous révèle, et il n’y a rien d’absurde à croire que les exigences du monde extérieur, la lutte perpétuelle des êtres, le changement des conditions sociales où ils se trouvent placés, poussent incessamment, quoique avec une lenteur extrême, la force vitale dans des directions nouvelles.

La stérilité presque universelle des hybrides est une des causes qui tendent le plus énergiquement à maintenir les espèces invariables ; mais on a vu que l’impuissance des espèces différentes à se féconder mutuellement n’est pas absolue : les singularités extraordinaires que révèle le phénomène de la propagation observé chez les hybrides et les métis prouvent que les circonstances défavorables ou propices à la génération sont aussi variables que complexes. Il est permis de croire que la stérilité des hybrides ne va pas toujours en augmentant d’une génération à l’autre ; elle a pu au contraire quelquefois, sous l’influence de la domesticité ou sous d’autres influences purement naturelles, aller en diminuant à mesure que la fusion entre les élémens empruntés à deux espèces différentes s’opérait d’une façon plus intime.

Si, en adoptant le principe de la modification graduelle des êtres, on essaie d’expliquer les particularités de la distribution actuelle des espèces dans les diverses provinces naturelles, on rencontre assurément de très grandes difficultés. Toutes les espèces étant issues d’un même genre primitif, il faut expliquer comment elles se sont propagées dans les parties du globe terrestre les plus éloignées ; c’est ici que la doctrine des révolutions du globe viendrait heureusement en aide à celle de M. Darwin. Tous les grands cataclysmes qui ont affecté les formes extérieures de la surface terrestre, en brisant les barrières qui séparaient les faunes, en déchirant les isthmes qui divisaient les mers, en obligeant les êtres à des migrations en masse, ont puissamment contribué à disséminer les espèces ainsi qu’à en augmenter le nombre. Nous ne voyons aujourd’hui que le résultat définitif de plusieurs révolutions semblables ; les migrations, les mélanges se sont renouvelés à mainte reprise, et nous ne pouvons plus discerner l’ordre dans lequel ces grands changemens se sont opérés. La loi nous en échappe, mais le fait n’en est pas moins évident.