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NOUVELLE THÉORIE D’HISTOIRE NATURELLE.

jours celles qui pourraient le mieux y prospérer. Il oppose une foule d’exemples aux partisans des causes finales, qui croient que la perfection est le caractère de toute chose créée et de toute combinaison naturelle. Comment expliquer, avec cet optimisme confiant, pourquoi nos animaux domestiques ont établi si facilement leur empire dans d’immenses régions, telles que l’Australie et les deux Amériques, où l’homme n’a trouvé aucune race d’animaux semblables quand il y a porté la civilisation ? Avec quelle rapidité la pomme de terre n’a-t-elle pas envahi toutes les contrées de l’Europe sitôt qu’elle y fut apportée ? S’il y a une harmonie remarquable, dans chaque province naturelle, entre la constitution physique, la topographie du sol, le climat et les productions du monde organique, cette harmonie n’a rien d’inflexible : c’est un accord qui peut être remplacé par un accord nouveau, et l’homme peut chercher son profit dans des combinaisons imprévues, où il met à la place de plantes et d’animaux nuisibles ou inutiles des plantes et des animaux utiles. Parmi les institutions récemment fondées en France, aucune ne mérite plus d’encouragemens que la société d’acclimatation. En essayant sur notre territoire les productions des autres pays qui se recommandent par un caractère particulier d’utilité, elle peut rendre à la science et au pays de véritables services : mais l’acclimatation doit avoir l’histoire naturelle pour guide : en faisant des choix peu judicieux, elle se condamnerait à l’impuissance ; elle pourrait même, en certains cas, produire des résultats très fâcheux, si elle introduisait sur notre territoire des intrus doués d’une force vitale et d’une faculté de propagation remarquables, qui, à la longue, pourraient déposséder ou tout au moins gêner certaines productions aborigènes. Il ne faut pas que l’œuvre de l’acclimatation soit une simple affaire de curiosité, une fantaisie zoologique : elle doit moins rechercher les singularités exotiques que tout ce qui peut véritablement contribuer à servir l’humanité. À ce point de vue, quel service éminent ne rend pas à l’avenir et à la civilisation le courageux missionnaire anglais Livingstone, qui s’occupe d’acclimater dans le continent africain le coton des États-Unis, dont la culture ne prospère dans le continent américain qu’au prix de toutes les horreurs de l’esclavage ! Le développement donné à la culture de la betterave n’a-t-il pas été le coup le plus sûr qui ait frappé le travail servile dans nos colonies ? Tout se lie dans le monde, et la science ne peut accomplir aucun progrès dans l’ordre physique sans qu’un autre progrès n’en devienne l’écho dans l’ordre moral.


Auguste Laugel.