Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/702

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

servons aujourd’hui ; mais plus anciennement on faisait déjà usage de divers mélanges inflammables désignés sous le nom générique de feu grégeois, et nos anciens annalistes nous ont transmis à ce sujet des détails où le réel se mêle au fantastique, de manière à exciter la surprise de la postérité. Les récits du sire de Joinville nous apprennent que le feu grégeois était fort employé par les Grecs et les musulmans, et quel effroi cette matière aux propriétés étranges inspirait aux Occidentaux. C’était donc une préparation fort connue, et il est assez naturel de croire que quelque curieux érudit, comme le moine Berthold Schwartz ou le savant Roger Bacon, en étudiant les propriétés qui la rendaient si terrible à la guerre, aura fait la prétendue découverte de la poudre à canon. Une telle invention d’ailleurs ne pouvait venir que de l’Orient, car l’ouest de l’Europe ne produisait pas alors et n’a même produit que dans des temps beaucoup plus rapprochés de nous l’élément le plus important d’une telle composition. La poudre, on le sait, n’est autre chose qu’un mélange intime de charbon, de soufre et de salpêtre, mais ces corps ne sauraient être réunis au hasard ; on observe dans un tel mélange des proportions régulières, et le dernier des trois y entre en beaucoup plus grande quantité que les deux autres. Or le salpêtre, il n’y a pas bien longtemps, nous était fourni en totalité par le commerce de l’Inde et de l’Égypte, pays où on le récolte en profusion. Sous le soleil brûlant de l’Inde, on le voit même apparaître, en cristallisations nacrées, à la surface du sol, dans tous les endroits bas et humides. En présence de la production abondante d’une matière aussi facile à recueillir, il paraissait à jamais inutile de chercher à se pourvoir ailleurs ; mais lorsqu’à la révolution les mers nous furent fermées, on sentit durement la privation de cet instrument indispensable des guerres modernes. C’était l’époque des prodiges, on en demanda un à la science, et les chimistes répondirent à l’appel. Il fallait trouver du salpêtre sur le sol de la patrie ; ils en trouvèrent, et depuis cette époque l’art du salpétrier, créé pour satisfaire à un besoin impérieux, est resté l’une des branches les plus florissantes de l’industrie nationale. On savait déjà que les vieux plâtras et les mortiers de démolition, ceux surtout provenant des étables ou des étages inférieurs des maisons habitées, recelaient de faibles quantités de ce sel. Comment s’y était-il introduit ? On l’ignorait encore, et l’on ne s’en préoccupa même pas à cette époque ; on imagina seulement un très habile procédé de lessivage, vrai chef-d’œuvre d’économie industrielle, qui permettait d’extraire à bas prix les dernières parcelles du précieux ingrédient. Depuis ce moment, non-seulement la production française a pu lutter avec avantage contre l’importation du salpêtre étranger, mais lorsqu’on se sert de ce dernier, le