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reconnut un de ses anciens compagnons. Croyant que celui-ci ne le reconnaissait pas, le juge, mû par la curiosité, peut-être même par un sentiment d’intérêt, lui demanda ce qu’étaient devenus les autres membres du dangereux club auquel le prisonnier avait eu le malheur d’appartenir. Le pauvre diable fit un long salut, et poussant un profond soupir : « Ah ! milord, répliqua-t-il, ils sont tous pendus, à l’exception de votre seigneurie et de moi. »

Telle est l’histoire des anciens clubs. Aujourd’hui quel changement ! Des palais de marbre ont remplacé les humbles tavernes et les cafés qui servaient de nid aux associations du dernier siècle. La révolution, sous le rapport de l’architecture et aussi sous le rapport du système économique, a été si grande, que des linguistes se sont demandé si l’on pouvait donner le nom de clubs à des établissemens qui offrent si peu de ressemblance avec les sociétés de good fellows définies par le grave docteur Johnson. Je ne m’arrêterai point à discuter sur le mot : j’aime mieux étudier tout de suite la constitution, l’origine et la vie des modernes club houses.


II

Les clubs qui existent maintenant à Londres se divisent en deux classes. Il y en a qui sont tenus par un particulier, lequel s’engage à fournir aux membres de la société certains avantages moyennant une somme payée à l’entrée et une contribution annuelle. Il en est d’autres qui ne ressemblent en rien à des entreprises individuelles, fondés qu’ils sont sur le principe absolu de la solidarité. Occupons-nous d’abord des premiers, qui sont les plus anciens, qu’on désigne sous le nom de subscription clubs, et qui forment la transition entre le vieux et le nouveau système. Ils sont seulement au nombre de quatre : Crockford’s, Brookes’s, White’s et Boodle’s. On les appelle ainsi du nom de leur propriétaire, et ils sont tous plus ou moins atteints d’une plaie sociale, le jeu.

William Crockford avait commencé par tenir un étal de poissonnier dans le Strand. Ayant gagné beaucoup d’argent, non pas tant à son commerce qu’aux jeux de hasard et aux courses de chevaux, il fonda plus tard une maison célèbre dans laquelle l’élite de la société se rendait la nuit en sortant de l’Opéra. Il s’y jouait des sommes fabuleuses. Plusieurs sombres épisodes se rattachent à cet enfer, hell[1], qui étalait pourtant des airs de fête. Un major des gardes avait perdu au jeu une grosse somme d’argent : sous l’influence de cette perte, il fit un faux qui fut découvert et qui le conduisit à la prison de Newgate. Avant le procès, il trouva le moyen de s’évader,

  1. Nom que les Anglais donnent aux maisons de jeu.