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scène émouvante ; chaque malle apportait de sinistres nouvelles, et les membres du club, qui connaissaient si bien Delhi et les autres possessions anglaises menacées, pouvaient se croire encore sur les lieux.

Le Travellers’ et l’Oriental forment une sorte de lien entre les clubs professionnels et les clubs mêlés, c’est-à-dire ceux dont les membres ne se trouvent unis que par l’attrait du plaisir et de la conversation, peut-être aussi par une conformité de rang, de fortune et de goûts plus ou moins frivoles. On remarque parmi ces derniers l’Arthur, le Parthenon, l’Erectheum et l’Union. Autrefois l’Union était un club politique ; il se vantait de compter dans ses rangs quatre cents membres de la chambre des lords et de la chambre des communes. James Smith[1] assista, dit-il, dans le morning room de l’Union Club house, à ces orageuses séances durant lesquelles Robert Peel et Wellington étaient tour à tour « divinisés ou diabolisés. » Mais avec le temps l’influence est tombée comme une couronne de la tête de ce roi des clubs : les membres se contentent aujourd’hui de discuter sur le mouvement des fonds publics ou de comparer entre eux les équipages qui passent dans Kokspur-street avec la rapidité du vent. L’Union a du moins retenu la renommée de sa table, et c’est encore un des plus chers de tous[2]. Parmi les clubs mêlés, je distingue aussi l’Alfred, qui avait vers 1825 un parfum littéraire. Là Byron aimait à rencontrer Peel, Ward et Valentia. C’était, disait-il, « une ressource dans les jours de pluie, dans les vacances du parlement et dans la saison vide[3]. »

Le système des club houses ne s’est guère étendu jusqu’ici à la classe moyenne proprement dite : il y a bien le City Club house, le Gresham et le Whillington, où se réunissent de gros négocians : quant aux petits marchands, ils se contentent de passer dans les tavernes les courtes heures qu’ils dérobent aux affaires et aux soins du ménage. La classe ouvrière semblerait au contraire beaucoup mieux disposée à suivre, sur une certaine échelle, l’exemple que lui a donné l’aristocratie anglaise. Un club d’ouvriers s’est établi, il y a deux ou trois ans, à Salford, près de Manchester. Deux des plus grands et des meilleurs cottages de la paroisse ont été réunis pour former un bâtiment unique, le club home. L’architecte divisa ensuite l’intérieur en plusieurs chambres répondant aux divers besoins de l’institution :

  1. L’un des auteurs de Rejected Adresses, ouvrage de fantaisie qui contient une peinture des mœurs et de la vie de Londres il y a une trentaine d’années.
  2. 32 livres sterling pour l’entrée et 6 livres 6 shillings par an.
  3. Un de ses ancêtres, lord William Byron, avait tué en duel M. Chaworth à la suite d’une querelle qui s’était élevée dans un des anciens clubs de Londres, à la taverne de l’Étoile et de la Jarretière. Le procès fit du bruit, et lord William fut condamné comme meurtrier à la dégradation par la chambre des lords.