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On doit s’attendre à trouver dans les clubs politiques de Londres une incarnation des deux principes qui divisent tout gouvernement constitutionnel, la résistance et le progrès. Le Carlton Club, ainsi nommé à cause de la terrasse sur laquelle il s’élevait avant d’être transplanté dans Pall-Mall, est la citadelle du privilège. Là se réunissent ce que les Anglais appellent les tritons du parti conservateur. Là se préparent de longue main les appuis qui doivent élever les tories aux affaires sur les ruines d’un cabinet whig ; là, aux époques d’élection générale, se concertent les mesures et se votent les fonds destinés à mettre en mouvement toutes les forces des vieux comtés. Le Carlton Club embrasse des conservateurs de toutes les nuances, depuis les tories de l’ancienne école, qui s’attachent obstinément aux doctrines de lord Eldon et de William Pitt, jusqu’aux hommes plus jeunes qui s’avancent aussi loin que sir Robert Peel. La plupart d’entre eux suivent pourtant la bannière de M. Disraeli. Ce sont, dans tous les cas, des personnes considérables par la richesse ou le caractère. De leurs rangs sont sortis et peuvent encore sortir d’un jour à l’autre des ministères auxquels ne manquent, à quelque point de vue qu’on les juge, ni l’éclat des noms, ni l’autorité du talent. Le Carlton a en quelque sorte sous lui un autre club, le Conservative. Ce dernier n’était guère, à l’origine, qu’une pépinière de candidats attendant que l’heure fût venue pour eux d’être admis au Carlton Club. Peu à peu cependant l’esprit de classification et de hiérarchie qui préside à toute la société anglaise rangea d’une manière permanente les membres du Conservative parmi les dii minores, ou, comme on dit ici, les étoiles secondaires. La tactique savante des partis a d’ailleurs reconnu que les habitués de l’un et l’autre club avaient une importance dans leur sphère : tel qui s’éclipse à Londres brille au premier rang dans son comté. « Il y a, me disait un Anglais, entre les hommes politiques la même différence que vous remarquez entre le dôme de Saint-Paul et le clocher d’un village ; l’un est à coup sûr plus haut que l’autre, mais pour les villageois le clocher existe bien plus que le dôme de l’imposant édifice, qu’ils n’ont jamais vu et qu’ils ne verront peut-être jamais. » Le Conservative étant greffé sur les mêmes principes que le Carlton, les chefs du parti tory appartiennent volontiers aux deux clubs, où ils rencontrent des auxiliaires utiles. Dans les élections, si le Conservative fournit moins de candidats que son frère aîné, il recrute du moins les forces qui doivent assurer aux premiers la victoire. La vie de plusieurs hommes d’état célèbres se trouve par cela même associée à l’une comme à l’autre réunion. On cite au Conservative un bon mot de lord Melbourne, alors chef