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moralistes ont reproché à ces institutions de relâcher les liens de famille et surtout d’éloigner les hommes de la société des femmes. Selon eux, les clubs ont créé une nouvelle variété de l’espèce humaine, que les Anglais désignent sous le nom de men of men[1]. Cette accusation a vivement ému les partisans des club houses, qui ont cherché à y répondre. Ils ont fait observer que le salon de ces établissemens, décoré de toutes les richesses du luxe, mais auquel manque la couronne de l’esprit féminin et de la grâce, était généralement désert durant la soirée ; d’où ils concluent que les hommes sont alors où ils doivent être, dans leur famille ou dans les réunions du monde. Un jeune clubman, devant lequel un humourist célèbre déplorait un jour l’influence fâcheuse des clubs sur les rapports sociaux des deux sexes, répondit : « Les femmes ! mais c’est ici seulement qu’on apprend l’art de leur plaire. » Il voulait dire qu’on contractait dans les clubs, au milieu d’une société choisie et spirituelle, les manières, la conversation et ce je ne sais quoi d’accompli qui assure les succès auprès de la plus délicate moitié du genre humain. Je dois avouer que ces argumens n’ont point du tout convaincu les femmes anglaises, qui persistent à déclarer une guerre ouverte à ces institutions. Leur avis est que les clubs produisent chez les hommes mariés l’oubli des devoirs domestiques, et qu’ils enracinent chez les autres les habitudes irrévocables du célibat. Les moins irritées d’entre elles se vengent de ces établissemens et du vide qui se fait autour de leur personne par des jeux de mots intraduisibles, — et je le regrette, — dans notre langue[2]. Sans m’établir juge entre les deux parties, je reconnais volontiers que les clubs conviennent surtout aux hommes libres de tout lien, ou dont l’absence n’est point regrettée à la maison. La preuve du reste que les griefs des moralistes s’appuient ici sur quelque fondement, c’est qu’il y a une douzaine d’années, il fut question dans les journaux d’ouvrir aux hommes et aux femmes mariés l’entrée du Whittington Club, qui s’érigeait alors dans la Cité ; seulement cette mesure présente d’autres inconvéniens et rencontre dans les mœurs anglaises une résistance qu’on ne désarmera point aisément. L’antagonisme entre la vie du club et la vie de famille est peut-être moins à craindre chez les Anglais que chez tout autre peuple à cause du respect qu’ils professent pour le home, ce palladium des institutions nationales. Je dois pourtant dire qu’outre le clubiste proprement dit, le nouveau système a créé un type encore plus exagéré : c’est l’homme qui appartient à beaucoup de clubs. Quelques Anglais croient en effet mesurer leur importance dans la société au grand

  1. Mot à mot hommes d’hommes.
  2. Les Arianes délaissées comparent en riant leur mari à un Hercule qui ne peut se passer de son club. Club en anglais veut dire à la fois massue et club.