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nombre de scrutins dont ils sortent victorieux et aux divers cercles dont ils sont membres. Là surtout commence l’abus : l’association à plusieurs club houses a produit une génération d’hommes oisifs, inutiles, dépareillés, ombres errantes qui vont d’un club à l’autre du West-End avec la tache de l’ennui sur le front.

Une autre accusation à laquelle on ne s’attendrait pas s’est élevée contre les club houses. On a dit que ces institutions cultivaient même entre les hommes l’égoïsme et l’isolement. La règle des nouveaux clubs, qui permet de dîner seul et laisse à l’individu enfermé dans le cercle de ses idées ou de ses études la liberté de s’attabler tête à tête avec lui-même, contribue, assure-t-on, plutôt à rompre qu’à fortifier le lien social. Les partisans des modernes institutions ne veulent pourtant point admettre que ce reproche soit fondé. À les entendre, il se trouve dans chaque club de Londres au moins un homme d’un tour d’esprit aimable et attrayant qui devient alors, comme disent les Anglais, le soleil d’un système de convives. On se souvient encore à l’Athenœum de Théodore Hook[1], qui était sous ce rapport le martyr de sa belle humeur et de sa popularité. Dès qu’il se montrait au club, c’était à qui se grouperait autour de lui pour jouir de ses plaisanteries et de ses bons mots. Quand cet humoriste célèbre disparut de la table favorite qu’il occupait près de la porte, dans un coin surnommé tempérance corner, le chiffre des dîners servis au club tomba de plus de trois cents par année. Je pourrais citer beaucoup d’autres exemples de sympathies fondées, non pas tant sur les charmes de l’esprit que sur les qualités du cœur. Un Anglais, me parlant des fraternités solides qu’il avait vues se former dans son club, ajoutait : « Vous connaissez la belle comparaison de Thomas Moore : la lune est un des plus petits et des plus insignifians parmi les corps célestes ; c’est pourtant celui qui nous donne le plus de lumière pendant la nuit, se trouvant celui qui s’approche le plus de la terre ; eh bien ! il en est des hommes comme des astres : les plus grands ne sont pas ceux qui nous éclairent davantage et qui nous réjouissent le plus ; ce sont ceux qui nous touchent de près, et vers lesquels nous nous sentons attirés. J’applaudis

  1. Auteur de Sayings and Doings. Théodore Hook, mort en 1842, était un des auteurs les plus admirés de la Grande-Bretagne pour sa verve comique, ses ouvrages et ses impromptus on vers. Son Histoire d’une Chemise de femme, charmante fantaisie, obtint, ainsi que plusieurs de ses écrits, un immense succès de rire et de curiosité. Sa vie était aussi aventureuse que son talent était original. Il avait connu les hauts et les has de la fortune. Nul plus que lui n’était à même d’observer le monde et la société anglaise, car il était lié avec des représentans de toutes les conditions. Comme il n’avait pas de chez lui, les lettres et les cartes de ses nombreux amis venaient le trouver à l’un ou à l’autre de ses clubs. Après avoir gagné beaucoup d’argent, il mourut criblé de dettes, et laissa cinq enfans qui furent secourus par la charité publique. Les Anglais le citent comme le type d’un caractère gai et aimable, qui contrastait avec la tristesse d’une vie misérable et dévorée par les embarras domestiques.