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LA


VILLE NOIRE



SECONDE PARTIE.

[1]



V.


Quand les deux artisans furent assis dehors, Audebert parla ainsi :

« À quarante ans, j’aurais pu me remarier avec quelque veuve, car à ce moment-là le choléra avait fait bien des places vides dans les ménages ; mais j’avais eu trop de chagrin de perdre ma petite famille, et je ne me sentais plus capable d’en aimer une seconde au point où il faut l’aimer pour supporter les fatigues et les soucis du travail. Celui qui vit seul est du moins à l’abri de toute inquiétude sérieuse. Il peut en prendre à son aise. Nos industries sont assez bonnes, et ce qui les rend misérables, c’est quand nous avons trop de monde à nourrir.

« Je restai donc seul et triste pendant plusieurs années, travaillant pour me distraire de mes regrets, et ne dépensant rien, parce que j’avais le cœur trop brisé pour entendre rire et chanter. Il en résulta que l’argent s’amassa de lui-même, et quand j’en eus un peu devant moi, un jour que je me sentais plus abattu que de coutume, j’eus l’idée de faire comme ton parrain a fait plus tard, c’est-à-dire d’adopter un orphelin pour donner à quelqu’un le bonheur dont je ne pouvais plus jouir pour mon compte.

  1. Voyez la livraison du 1er avril.