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autre remède bien plus efficace. Que les plantations, au lieu d’être livrées à des mains étrangères, fussent confiées aux races sédentaires, c’est-à-dire aux anciens affranchis ou aux petits créoles : les gens du pays, stimulés par toute sorte d’influences honnêtes, formeraient peu à peu une classe moyenne de chefs de travaux, de fermiers, de métayers, modestes propriétaires qui établiraient des liens entre le peuple noir et l’aristocratie blanche et maintiendraient une échelle graduée de fortunes territoriales : solution impossible avec des coolies, presque tous animés de l’esprit de retour ! Et s’ils restaient, la population indienne serait un jour maîtresse de l’île : c’est le sort qui menace Maurice !

Le gouvernement cherche ailleurs. Estimant que le prix de cession des contrats d’engagement, qui n’est autre chose que l’indemnité réclamée par les agens de l’importation humaine, a atteint des proportions inaccessibles à la moyenne et petite propriété, il s’est attribué le droit de le fixer lui-même. Il est vrai que cette indemnité avait successivement monté de 125 francs à 800 et 1,000 ; mais le remède n’est-il pas pire que le mal ? Cette nouvelle intervention de l’autorité dans le domaine des transactions individuelles achève de faire de la production presque une branche de l’administration publique. Ici d’ailleurs se présentent de graves objections : en voyant diminuer les bénéfices, les capitaines de navires qui recrutent et transportent les émigrans ne diminueront-ils pas eux-mêmes les avances qui attirent les Indiens ou les Africains ? La source ne baissera-t-elle pas ? À distance, cela paraîtrait fort probable : l’expérience prononcera. Quoi qu’il advienne, sur ce point encore l’immigration exerce une funeste pression. Elle seule, en important des travailleurs à grands frais, impose un remboursement au comptant et d’avance qui reste le privilège des grandes fortunes : avec la population sédentaire ralliée à la culture, ces frais n’existeraient pas, ils se répartiraient jour par jour sur un salaire plus élevé, amorce puissante pour le travail.

La faveur officielle semble s’attacher avec plus de raison à la multiplication des communes et des paroisses ; on assure ainsi de meilleures conditions à la vie collective, à l’éducation morale et religieuse, à l’état civil, à la police, à la viabilité, à tous les travaux publics. En détournant une partie des anciens affranchis de l’isolement qui les entraîne à l’oisiveté, ces créations préparent le noyau d’une population rurale. Elle s’occupera sans doute au début de plaisirs et de petit trafic plutôt que d’industrie et de culture, mais en elle à la longue s’éveilleront des besoins qui la pousseront au travail sérieux, et peut-être un jour verra-t-on ces vagabonds des hauts lieux descendre dans la plaine, comme journaliers d’abord, plus tard, à l’aide de l’épargne, comme fermiers ou propriétaires.