Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/903

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vingt à vingt-quatre calibres de longueur, parfois même davantage pour les plus petits. Le poids variait entre deux cent vingt et trois cents fois celui du boulet. Il existait aussi, mais en fort petit nombre, quelques pièces de 32 et de 48. Remarquons en passant cette anomalie qui rendait les calibres les plus faibles proportionnellement plus lourds, quoiqu’il parût naturel de les employer de préférence pour suivre les armées. Autre complication : à chaque calibre correspondaient trois longueurs différentes de pièces, afin, disait-on alors, de mieux approprier les effets du canon à sa destination. Les affûts étaient très peu maniables, si bien que l’on attelait parfois jusqu’à vingt-cinq forts chevaux à une pièce de 24. Tel qu’il était cependant, cet ensemble attestait de sérieuses études ; on en était surtout redevable à l’infatigable persévérance de Louvois et aux travaux des généraux d’artillerie Dumetz et de Vigny. Les projectiles creux étaient déjà fort appréciés, mais d’une fabrication encore très imparfaite, ils se brisaient souvent dans l’âme sous la pression des fortes charges qui étaient en usage. Les éclats pouvaient blesser les canonniers, ou tout au moins ils éraflaient les pièces ; pour remédier à cet inconvénient, il fallait raccourcir beaucoup la bouche à feu, et c’était alors l’affût qui souffrait de la violence du recul. On était donc contraint pour les projectiles creux de se borner aux mortiers qui lancent les bombes sous un très grand angle, et dont les effets diffèrent complètement de ceux du tir horizontal[1]. Les bombes n’ont qu’une précision très inférieure, mais elles peuvent atteindre un but invisible, et ont pour destination principale d’écraser par leur chute les voûtes et les abris les plus solides. La réaction des mortiers s’exerce moins sur l’affût que sur le sol, ce qui en rend l’emploi très délicat dans la marine ; aussi les galiotes à bombes, dont Duquesne se servit contre Gênes et Alger, étaient une innovation très hardie, et présentaient un grand mérite de difficulté vaincue.

On éprouvait dans le principe une certaine perplexité sur les moyens à prendre pour mettre le feu aux projectiles creux au moment même où ils quittent la pièce, et l’on employait pour cela des mèches d’un usage souvent peu commode et peu sûr. Depuis longtemps, ce procédé a été abandonné, et l’on y supplée par une composition fusante renfermée dans un tube de bois ou même de métal, chassé à grands coups de maillet dans l’ouverture ou œil de la bombe. Cette fusée brûle dix, vingt, trente secondes, suivant la distance où l’on a l’intention de la faire parvenir. Quoique l’usage de ces fusées remonte à un siècle environ, il ne mangue pas de personnes

  1. Les bombes, dont l’idée première remonte fort loin, ont servi pour la première fois au siège de Wachtendonck en 1588. Elles ont été popularisées en France au siège de La Mothe en 1633 par un gentilhomme anglais du nom de Malthus.