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plus fréquemment dans la dernière guerre que dans beaucoup d’autres. Ne faut-il pas s’attendre cependant à une extension considérable de l’emploi de l’artillerie, et à un usage plus restreint de la cavalerie de ligne ? C’est du moins une double tendance qui n’a cessé de se manifester depuis l’invention de la poudre.

Une opinion assez répandue parmi les militaires comme chez les gens du monde, c’est que l’équilibre qui existait autrefois entre l’attaque et la défense des places, rompu déjà par les travaux de Vauban, va se changer en une supériorité de plus en plus marquée en faveur de l’offensive, et qu’il deviendra facile de battre les villes fortifiées d’assez loin pour qu’elles ne puissent trouver aucune protection dans la force de leurs enceintes. Notre conviction est que le contraire arrivera. Déjà nous avons Tait quelques réserves au sujet de l’efficacité exagérée que l’on attribue aux projectiles creux ; depuis longtemps, l’expérience a démontré que le canon n’a de puissance qu’à la condition d’avoir un tir convergent, et s’il a un obstacle puissant à renverser, il faut qu’il ait une régularité méthodique, comme le tir en brèche[1]. Souvent, lorsque l’habileté a fait défaut pour obtenir la reddition d’une ville, on a essayé de profiter d’une supériorité d’artillerie pour la ruiner et pour intimider ses défenseurs. Ce procédé peut réussir contre des fortins, où l’on ne trouve d’abri nulle part ; mais toutes les fois qu’on a voulu en faire usage contre des villes importantes, il a tourné à la confusion des généraux qui avaient mis leur confiance dans ces moyens barbares. On a détruit des propriétés privées, appauvri les habitans, mais sans succès, et la dépense la plus forte est toujours restée à la charge des assaillans. Ceux-ci d’ailleurs n’auront pas seuls le bénéfice d’une artillerie plus légère et d’une plus longue portée. Les garnisons, ayant aussi plus de facilités à transporter leur canon, forceront l’ennemi à établir ses camps à une très grande distance pour y trouver le repos, à commencer ses tranchées de très loin, à faire sur une étendue triple ou quadruple les travaux si pénibles et si dangereux de la dernière période d’un siège, et les hommes de service n’y arriveront que fatigués déjà par une longue course. Sans doute la fortification devra se plier à de nouvelles exigences, multiplier les

  1. Les anciens artilleurs battaient irrégulièrement les murs d’escarpe où ils voulaient ouvrir une brèche ; il s’ensuivait que les décombres s’amassaient en très grandes quantités au pied du mur, et bientôt les boulets s’enterraient sans produire d’effet. Aussi arrivait-il souvent que l’on ne réussissait pas à rendre la brèche praticable, et il fallait recommencer ailleurs sur nouveaux frais. Maintenant on commence par faire une tranchée horizontale au tiers de la hauteur du mur, ce qui laisse au-dessous l’espace nécessaire à l’amoncellement des décombres qui vont se produire, puis on pratique de bas en haut deux tranchées verticales aux extrémités de la première, pour isoler un grand fragment de mur qui s’écroule sous son propre poids. Pour obtenir ce résultat, il suffit de 100 kil. de boulets et de 50 kil. de poudre par mètre courant de rempart abattu.