Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/954

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les plus purs et les plus passionnés qu’il ait écrits. Pendant toute une année, le père de Julie, craignant le caractère fougueux du jeune écrivain, ferma obstinément l’oreille à sa demande ; soutenu cependant par une fidélité qui répondait à la sienne, Petoefi triompha des obstacles, et au mois de septembre 1847 il emmenait chez lui sa jeune femme. Il passa la lune de miel à Kolto, chez un de ses admirateurs, devenu son ami intime, le jeune comte Alexandre Téléki. Mais pourquoi parler de lune de miel ? Pendant les dix-huit mois que Petoefi a passés avec sa femme, tous les jours ont eu pour lui les mêmes ravissemens. Il a intitulé un de ses recueils Journées de Bonheur conjugal, et quelques-unes des pièces qui le composent portent la date glorieuse de sa mort. La première émotion qu’il exprime, c’est la béatitude du repos, de la sérénité, et avec elle une foi virile en soi-même. Tantôt il chante ce bonheur avec une gaieté candide, tantôt il emprunte pour la peindre les images d’une poésie éthérée. « Me voici roi, dit-il, depuis que je suis marié. Assis sur mon trône, je donne audience à mes sujets, je rends la justice et punis les coupables. Approchez tous. Qui es-tu, la belle fille ? Ah ! c’est toi que j’ai si souvent poursuivie naguère, et qui m’échappais toujours ! Tu t’appelles la joie. Je te tiens maintenant, tu ne m’échapperas plus. Je te prends à mon service comme jardinière ; chaque jour, avec tes doigts de fée, tu me cueilleras de belles fleurs odorantes. Et toi ? tu es le souci du foyer ; je n’ai pas le temps d’écouter tes radotages, et je saurai bien te fermer la bouche, si tu n’as que de prosaïques histoires à raconter. Et toi là-bas, sombre compagnon ? Va, je te reconnais bien ; que de fois, ô noir chagrin, nous nous sommes battus ensemble ! Tu m’as fait de cruelles blessures, hélas ! j’en frémis encore. Je t’ai vaincu cependant, et la clémence sied au vainqueur. Reçois le pardon de tes méfaits. Mais quel est ce bruit dans la cour ? quel est ce cheval qui piaffe ? Est-ce le coursier du poète qui s’indigne de rester inactif ? Patience, patience, mon cheval ; bientôt nous nous envolerons de nouveau dans les nuées. Attends un peu ; laisse-moi jouir encore de ma dignité de roi. » Un autre jour, il chante l’immortalité de l’âme ; il n’y songeait guère autrefois dans sa vie turbulente, et quand il lui arrivait d’y songer, son esprit ne voyait là que des chimères. Ce que la philosophie n’a pu enseigner à son intelligence, une révélation tendre et forte vient de l’imprimer au fond de son cœur.

Ce progrès moral si rapidement développé est un des traits caractéristiques de l’inspiration de Petoefi. Songez que le poète n’a que vingt-quatre ans, et qu’il était hier encore le chantre des joies turbulentes ; aujourd’hui, sous le regard de l’épouse, auprès du berceau du nouveau-né, sa verve s’épure sans s’affaiblir. Le calme a multiplié ses forces. Ses passions, non pas éteintes, mais transformé