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fût commencée. Au moment où la révolution éclata, une carrière nouvelle s’ouvrit à son ardeur. Pendant que les politiques délibéraient dans les assemblées, pendant que les généraux organisaient des troupes, Petoefi avait sa tâche à remplir ; il chantait la guerre de l’indépendance, et ses strophes inspirées, comme une marseillaise magyare, enfantaient des soldats à l’héroïque Bem. Pourquoi faut-il que M. Kertbény n’ait pas osé traduire ces chants, les derniers et les plus beaux, assure-t-on, qui soient sortis de cette âme enthousiaste ? De telles œuvres appartiennent à l’histoire. Si l’Autriche les proscrit, les autres contrées de l’Allemagne ont bien le droit de les entendre, et puisque c’est par l’intermédiaire de l’Allemagne que M. Kertbény s’adresse à l’Europe entière, nous lui demandons de compléter son œuvre.

Au mois d’octobre 1848, Petoefi alla prendre sa place parmi les compagnons qui avaient répondu à son appel. Élu capitaine dans le vingt-septième bataillon de honveds, il prit part à tous les combats qui furent livrés dans les provinces du Bas-Danube. Au mois de janvier 1849, le général Bem, qui commandait l’armée de Transylvanie, l’appela auprès de lui en qualité d’aide-de-camp. Bem, un de ses admirateurs, l’aimait comme son enfant, et, bon juge en fait de bravoure, il le décora de sa main sur le champ de bataille. C’est dans l’intervalle des combats que l’aide-de-camp du général Bem composait des strophes bien touchantes sur son vieux père et son fils nouveau-né. Tandis que Jellachich vaincu s’enfuyait dans la direction de Vienne, on avait remarqué aux premiers rangs de l’armée hongroise un vieillard qui, tenant d’une main ferme le drapeau de l’indépendance, entraînait ses jeunes compagnons à la poursuite de l’ennemi. « Quel est ce vieux porte-drapeau ? — C’est mon père, dit Petoefi. Hier il était malade, souffrant, accablé par l’âge et les chagrins ; à peine pouvait-il se traîner de son lit à sa table et de sa table à son lit ; dès que ces mots la patrie est en danger! ont retenti à ses oreilles, il a retrouvé sa vigueur d’autrefois, et, jetant là ses béquilles, il a pris en main le drapeau du régiment. » Quand le poète, versant des larmes, dépeint ainsi son vieux père rajeuni par le patriotisme, il nous fait bien comprendre le caractère de cette guerre vraiment nationale et l’enthousiasme qui, des premiers rangs de la société jusqu’aux plus humbles, enflammait tout un peuple. Et quelle reconnaissance, quelle vénération pour le courageux vieillard ! « Jusqu’ici, ô mon père, tu disais que j’étais ton orgueil ; c’est toi désormais qui es ma gloire et ma couronne de chêne. Si je te revois après cette campagne, je baiserai avec un tremblement de respect et d’amour ces mains qui ont porté en avant de nos bataillons l’étendard sacré de la patrie ! » Quelques mois après, sa femme lui donnait un fils, et il le saluait de ses cris de joie au milieu des é