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les troubles de la ligue, voyant la France occupée chez elle, et croyant la pouvoir attaquer impunément, en pleine paix, sans le moindre prétexte, au mépris de toute foi publique en Europe, il s’était jeté sur le marquisat de Saluces, qu’un traité solennel assurait à la France, uniquement parce que ce marquisat était à sa convenance. La paix de Vervins à peine conclue, Henri IV avait élevé de sérieuses réclamations. Charles-Emmanuel avait tout fait pour les éluder. Passant de la violence à la ruse, il était venu lui-même tenter d’amuser Henri par de vaines paroles. Il avait fallu que le Béarnais lui fît sentir l’épée de la France : il marcha contre lui, et en moins de trois mois il envahit toute la Savoie. Il aurait pu la garder ; mais, aussi généreux que politique, il rendit cette conquête, et content d’avoir infligé à ce déloyal voisin une rude leçon, il fit avec lui le traité de Lyon, également favorable aux deux parties, qui cédait au duc de Savoie le marquisat de Saluces, enclavé dans le Piémont, et en retour nous donnait la Bresse, le Bugey et le pays de Gex, qui appartiennent essentiellement au territoire français. Charles-Emmanuel aurait dû être satisfait : il avait uni et fortifié le Piémont ; mais son inquiète ambition ne se pouvait reposer, et toutes les fois qu’il se forma quelque mauvais dessein contre nous, il y eut toujours la main. Naguère il avait trempé dans la conspiration du maréchal de Biron ; plus tard, il s’associa à toutes les intrigues ourdies en Europe pour troubler la France et renverser Richelieu[1]. C’était surtout vers les riches plaines de l’Italie que se portaient ses regards ; il convoitait le Montferrat, qui faisait partie des états du duc de Mantoue, et à la mort de Vincent II il crut le moment venu de s’en emparer. Pour cela, il fallait s’entendre avec les deux mortels ennemis de l’Italie : Charles-Emmanuel n’hésita point, et pendant que l’empereur, alléguant que Mantoue est un fief qui relève de l’empire, refusait l’investiture à Charles de Gonzague, se portait juge de ses droits et de ceux de son compétiteur, le duc de Guastalla, et en attendant le jugement définitif déclarait en séquestre le duché de Mantoue, le duc de Savoie signait avec l’Espagne un traité de partage du Montferrat. Le duc prenait pour lui la partie de cette grande et belle province qui entrait le plus dans le Piémont et l’agrandissait de divers côtés ; l’Espagne devait avoir la ville et la forteresse de Casal, alors considérée, avec Mantoue, comme la première forteresse de la Haute-Italie. En conséquence de ce traité, le 25 février 1628, deux armées sortaient de

  1. Voyez Madame de Chevreuse, ch. Ier, p. 21.