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leur vie et leur mort, de frapper les masses et d’exciter en elles les émotions désintéressées et généreuses. À ce point de vue, l’audace et le succès de Garibaldi ont une influence qui dépasse l’Italie, et produiront des fruits bien au-delà de la contrée dont le chef des chasseurs des Alpes veut achever l’affranchissement. Déjà à côté de l’action se forme la légende. Tandis que Garibaldi fait capituler l’armée napolitaine, George Sand dessine en quelques pages pénétrées d’enthousiasme le portrait du guérillero. C’est un grand bonheur d’inspirer de telles sympathies par la générosité d’une téméraire entreprise. Garibaldi a dans cette circonstance plusieurs autres bonheurs encore. Le cadre où il agit est restreint : pour le remplir, il ne dispose point de ces ressources militaires régulières qui ont donné un caractère presque scientifique aux guerres de la civilisation, et en ont éteint la poésie ; il fait la guerre des anciens temps, celle où éclataient les prouesses personnelles, et qu’animait le roman des aventures. Un autre bonheur qui aide à expliquer son succès, c’est qu’il a eu affaire à une armée commandée par des chefs ineptes, et dont les soldats, ou fascinés d’avance par sa réputation, ou mal disposés pour le gouvernement qu’ils servent, se sont mollement défendus. À en juger par les récits minutieux de l’attaque de Palerme qui ont été envoyés à la presse anglaise par des compagnons de Garibaldi, les troupes napolitaines se gardaient avec une inconcevable négligence ; les picciotti des squadre siciliennes qu’entraînait Garibaldi étaient mal armés, nullement préparés à soutenir le choc d’une force régulière, et si les troupes napolitaines qui avaient à défendre la porte par laquelle les insurgés ont pénétra dans Palerme eussent opposé à l’agression une véritable résistance, l’habile audace du condottiere et de ses chasseurs des Alpes eût difficilement triomphé.

Il serait prématuré de chercher à juger le caractère des mesures politiques que Garibaldi a prises après son succès. Ces mesures sont mal connues encore ; quelques-unes du moins auraient besoin d’être expliquées, celle entre autres par laquelle Garibaldi partage entre ses compagnons les biens communaux de la Sicile. À première vue, il n’est pas possible de nier que, par une telle appropriation de butin, les émancipateurs de la Sicile pousseraient à l’excès la façon de faire la guerre à l’antique. Si le général a besoin d’un habile conseiller politique, nous espérons qu’il le trouvera dans M. La Farina, qui vient de quitter le parlement de Turin pour se rendre à Palerme. M. La Farina, dont nous avons eu plus d’une fois l’occasion de prononcer le nom depuis un an, est Sicilien. Il a fait ses preuves comme organisateur politique dans cette association de l’unité italienne qu’il conduisait de concert avec Garibaldi, et dont les agences secrètes couvraient l’Italie avant que n’éclatât la guerre de l’année dernière. Mais la considération des détails s’efface en présence des questions de politique générale que fait naître la révolution de Sicile.

Ce n’est plus seulement la conservation de la Sicile qui est en jeu pour la royauté napolitaine, c’est sa propre existence. Qu’une insurrection éclate