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elle y a cédé en les prenant en main et en les tempérant. Cependant avec un autre peuple ces concessions judicieuses n’eussent pas suffi ; il a fallu que des deux parts on se tînt en garde contre les entraînemens et qu’à la modération dans la défense répondît la modération dans l’attaque. Ailleurs on ne s’arrête pas ainsi ; dans l’enivrement de la victoire, on ne laisse rien debout, sauf à se châtier de cet excès en tombant dans l’excès contraire. Comment le peuple anglais s’est-il refusé à ces tristes exécutions ? Les instrumens ne lui manquaient pas ; il a les libertés de la presse et de la plate-forme, il a le droit de réunion et au besoin l’agitation des rues. Que de tentations pour tout soumettre au même niveau, briser les compartimens artificiels, abaisser ce qui s’élève, proscrire ce qui se distingue ! Ce spectacle va si bien aux passions de la foule ; pourquoi ce peuple ne se l’est-il pas donné ?

Plusieurs motifs l’en ont empêché. Le premier et le plus puissant, c’est qu’il réfléchit à ce qu’il va faire. Ne serait-il pas contenu par le scrupule de nuire à autrui, qu’il le serait par la crainte de se nuire à lui-même. Avant l’acte, il en calcule les suites et ne veut pas s’exposer à perdre plus de terrain qu’il n’en aurait gagné. Le second motif, c’est que ce privilège conféré à une classe flatte plutôt qu’il ne froisse l’orgueil des autres. Cette aristocratie n’a point de cadres fermés ou seulement ouverts à la faveur, le mérite y conduit aussi bien que la naissance. À côté d’anciens noms y figurent des noms nouveaux qui rajeunissent et retrempent l’institution, où viennent se confondre dans une parfaite égalité tous les services et toutes les gloires. Ensuite cette aristocratie ne prétend pas gouverner seule ; elle n’impose pas ses médiocrités au pays, elle laisse le pouvoir où il doit être pour le bien commun, entre les mains les plus capables et les plus dignes. C’est ainsi qu’on désarme les passions en élevant les caractères. Que d’hommes nés dans les plus humbles rangs ont, par leur seule valeur, franchi les degrés de la hiérarchie et exercé une influence décisive sur les destinées de leur pays ! Il suffit d’en citer deux qui appartiennent à ce siècle et ont une affinité d’origines, Wilberforce et M. Cobden. Au nom de l’un se rattache l’affranchissement des esclaves, au nom de l’autre l’affranchissement du commerce ; le premier est sorti d’un port de mer, le second d’une ferme pour passer de là dans un comptoir.

C’est à Mindhurst, dans le comté de Sussex, que naquit, en 1804, M. Richard Cobden, et rien dans son enfance ne faisait prévoir qu’il dût appartenir à l’industrie et y marquer fortement son passage. La contrée est plus agricole que manufacturière ; son père était un cultivateur chargé de famille, vivant sur un petit domaine qui suffisait à peine à ses besoins, et dont plus tard il fut dépossédé. Le jeune Richard passa donc par la rude école de la nécessité ; il ne connut