Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et empirait en effet. D’un côté, la population tendait à s’accroître ; de l’autre, la production des grains demeurait à peu près stationnaire. Un défaut d’équilibre se déclarait entre l’aliment et les bouches à nourrir de la cette conséquence que la demande excédait toujours l’offre : l’acheteur se trouvait à la merci du vendeur, et la concurrence ne s’exerçait que dans le sens de la hausse. Le marché restait maîtrisé, même avec l’abondance. Il y a plus : une insuffisance manifeste menaçait la production des grains, quel que fût l’état des récoltes, et des évaluations faites avec soin portaient cette insuffisance à deux millions de quarters. Comment, sous cette perspective, l’agriculture eût-elle maintenu ses prétentions et gardé une tâche qui excédait ses forces ? La raison et l’équité lui conseillaient de s’en dessaisir ; il y allait de la paix publique. Le temps arrivait où l’approvisionnement étranger, longtemps éventuel, devait être converti en une ressource permanente.

Cette nécessité avait frappé de bons esprits. M. Hume en 1834, M. Clay en 1836, avaient fait des motions pour remplacer l’échelle mobile par un droit fixe. M. Villiers s’était montré plus hardi en demandant la suppression complète du droit. Une association formée à Londres, et qui comptait vingt-six membres du parlement, se proposait le même but. Aucune de ces tentatives n’aboutit. L’effort était en raison des chances de succès, et ces chances dépendaient de l’état des récoltes : étaient-elles abondants, l’agriculture se plaignait ; étaient-elles médiocres, l’industrie, réclamait à son tour. Le fond du débat variait d’une saison à l’autre et flottait entre ces deux intérêts. Un fait néanmoins devenait évident, c’est que la prospérité de l’industrie se mesurait sur le prix des subsistances. Florissante en 1835 avec le blé à 39 shill. Le quarter, elle éprouva, en 1836 et 1837, une crise affreuse avec le blé a 55 shill. Beaucoup d’ateliers se fermèrent, d’autres ne travaillent que quatre jours par semaine ; des milliers d’ouvriers furent congédiés, des maisons d’une solidité proverbiale succombèrent devant le resserrement du crédit, et le doute plana sur toutes celles qui avaient des engagemens en circulation. L’ébranlement durait encore quand, dans les premiers mois de 1838, M. Cobden rentra en Angleterre. Il s’inspira de l’état des esprits et jugea, qu’abandonnée aux hommes politiques, la réforme serait pour longtemps enrayée. La tâche exigeait des champions d’une autre trempe, étrangers aux ménagemens, n’ayant point de position à compromettre, ne se mettant en souci que de frapper juste en frappant fort. Pour cela, il ne fallait pas viser trop haut, ni chercher des noms en crédit : le mouvement devait partir de la fabrique même, prendre des chefs dans ses rangs et se traiter comme se traite une affaire, avec des sacrifices au besoin. M. Cobden essaya d’abord