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II.


M. Cobden n’avait plus qu’un degré à franchir pour arriver au parlement. La voix publique l’y appelait ; ses titres étaient de ceux qu’on ne discute plus. Son talent de parole s’était montré au niveau de tous les auditoires, énergique dans les orages populaires, calme dans les conférences de délégués, toujours ingénieux et sensé, naturel surtout et gardant la juste mesure. Ce qui manquait à ses discours du côté de l’ornement était compensé par la connaissance des faits et la solidité de la discussion. Sa candidature se posait donc d’elle-même. N’était-il pas à croire que Manchester disputerait aux autres bourgs l’honneur de le nommer ? Il n’en fut point ainsi. Des malentendus survinrent, et un peu de jalousie locale s’y mêla. Les whigs avaient jusqu’alors disposé des deux sièges, et M. Cobden déclara que, représentant d’une idée, il n’entendait pas aliéner son indépendance. Cette fierté mal comprise amena un autre choix, un choix aussi heureux qu’il pouvait l’être après cette ingratitude. M. Milner Gibson devint le candidat du parti libéral, et, investi du siège, il en représenta les opinions avec un véritable talent et une fidélité à toute épreuve. Il faut dire que la ligue connaissait alors imparfaitement sa force et qu’elle n’était pas ce qu’elle devint bientôt, une pépinière de membres du parlement. Déjà pourtant, dans une élection antérieure, à Walsall, où elle s’était tardivement essayée, elle avait pu balancer la puissante influence des Gladstone. À Bolton, elle assura la réélection du docteur Bowring, tandis que Stockport, sans autre pression que la notoriété du chef de la ligue, vengeait M. Cobden de l’abandon de Manchester et se le donnait pour représentant.

Les circonstances étaient graves quand M. Cobden reçut ce nouveau mandat ; par l’effet des élections, le ministère whig tombait en minorité et se retirait (août 1841) devant une adresse hostile pour faire place à un nouveau cabinet, inspiré et dirigé par sir Robert Peel. Au fond, ce changement était plutôt favorable, et la suite le prouva bien, aux réformes que poursuivait M. Cobden. Les whigs, faute de pouvoir réel, en étaient venus à déserter leurs propres principes ; depuis trois ans, ils se tenaient sur la défensive, moins jaloux de contenter leurs amis que de déjouer les efforts de leurs adversaires. Sir Robert Peel, au contraire, arrivait avec le désir et le besoin d’agir. Il allait, par la hardiesse de ses mesures, porter une diversion dans le camp opposé et le mettre dans l’alternative ou de s’y rallier ou de se démentir. Plus que les whigs, il était ému de l’état précaire des classes laborieuses et préoccupé des remèdes à y apporter. « Il y a là, disait-il dans un entretien avec