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M. Guizot, trop de souffrance et trop de perplexité ; c’est une honte et un péril pour notre civilisation ; il faut absolument rendre la condition de ce peuple du travail manuel moins rude et moins précaire. On n’y peut pas tout, bien s’en faut ; mais on y peut quelque chose, et on y doit faire tout ce qu’on peut : » noble langage dont les événemens ont attesté la sincérité ! La tâche était pourtant pleine d’embarras. Le ministre n’était maître de son parti qu’à la condition de servir ses passions et d’épouser ses intérêts ; il fallait s’en détacher et en décomposer les élémens pour en obtenir les moindres réformes. De leur côté, les whigs avaient semé d’embûches le terrain qui leur échappait. Ce qu’ils n’avaient pu ni voulu faire, ils mettaient leurs successeurs en demeure et presqu’au défi de l’accomplir immédiatement. Sir Robert Peel déjoua le piège et se refusa à un engagement formel ; la prorogation le mit à couvert : il avait cinq mois devant lui pour se recueillir et préparer ses projets.

Il les exposa dès l’ouverture de la session de 1842 ; rien de plus net, de plus simple. Pour combler le découvert du trésor, il proposait deux mesures : l’impôt sur le revenu, la révision des tarifs. De 1 200 articles sujets à la taxe, 750 étaient modifiés ; sur les matières premières, le droit descendait à 5 pour 100 de la valeur ; sur les produits en partie manufacturés, à 12 pour 100 ; sur les produits manufacturés, à 20 pour 100. Quant aux grains, le droit était réduit à 20 shillings quand le blé serait à 51 shillings et décroîtrait de manière à n’être plus que de 1 shilling quand le blé en vaudrait 73. Ce n’était là, pour les whigs et les membres de la ligue, qu’une satisfaction incomplète ; pour les conservateurs au contraire, c’était un commencement de trahison. Sir Robert Peel eut à défendre ses plans contre les prétentions des uns et les répugnances des autres. Déjà, dans la courte session du mois d’août, M. Cobden avait pu faire ses débuts devant la chambre, mais avec une réserve, une modération étudiées qui avaient causé quelque surprise. Cette fois il fut plus vif et eut à essuyer les interruptions et les rires ironiques qui partaient des bancs opposés. M. Villiers avait reproduit sa motion pour l’abolition complète ; il l’appuya par un bon discours, où il ne dissimula rien ni de l’état des esprits, ni des difficultés de la situation, Le premier ministre resta inébranlable, il ne voulait pas faire d’autre violence à son parti ; sa loi passa, telle qu’il l’avait présentée ; à l’essai pourtant, on put voir combien elle était insuffisante. Loin de décroître, les prix haussaient sur les marchés ; jamais la misère n’avait plus cruellement sévi dans les villes industrielles. Leeds, 30,000 âmes gagnaient à peine quinze sous par semaine ; dans un district de Manchester, 258 familles n’avaient que cinq sous par jour pour suffire à leurs besoins. De tous côtés arrivaient des avertissemens sinistres. Les ouvriers s’en prenaient aux fabricans, aux ma-