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certain effort pour écarter l’essaim des parasites et dominer leurs murmures, pour voir, au-dessus et au-delà des griefs particuliers, ce qui importe à la généralité et ce qu’il est opportun de faire. Les ministres anglais ont eu ce courage et ce bon sens : aucun, depuis sir Robert Peel, n’a dévié du chemin que cet homme illustre avait tracé d’une main ferme et à ses dépens. Il n’y a plus en Angleterre deux doctrines à ce sujet ; il n’y en a qu’une, c’est la sienne. La protection a été inhumée dans la même tombe que la loi des grains. Comme l’a dit récemment M. Gladstone, elle habitait autrefois un palais ; aujourd’hui on la déloge des recoins. Depuis dix ans, la politique commerciale de l’Angleterre est conforme à cette donnée. On a ouvert les portes de plus en plus grandes, dégrevé les subsistances, les objets manufacturés, les matières brutes, de manière à offrir au travail de l’homme un champ plus libre et plus d’occasions de s’exercer. On n’a pas calculé si telle ou telle industrie aurait à en souffrir, si quelques-unes ne succomberaient pas à l’épreuve ; on les a toutes condamnées à ne compter que sur elles-mêmes, à se protéger par leurs seuls efforts, à combattre à découvert, quelles que fussent les chances du combat. C’est ainsi que le tarif a été émondé constamment et, on peut le dire, implacablement ; c’est ainsi qu’on en a retranché les branches gourmandes qui épuisaient la sève au préjudice du fruit. En 1845, le nombre des articles soumis aux droits de douane était de 1163 ; en 1853, ce nombre était descendu à 466, en 1859 à 419 ; dans le budget de 1860, il tombe à 48 articles, dont 15 seulement essentiels et les autres nominaux. Les 15 articles de produit sont le sucre, le thé, le tabac, le café, le vin, les bois de construction, etc. ; les autres ne sont maintenus au tarif que pour balancer des taxes intérieures. Tout ce qui reste en dehors de ces 48 articles entrera désormais en pleine franchise. Qu’on l’approuve ou non, il faut reconnaître que cette manière d’agir a une certaine grandeur et un remarquable esprit de suite. Ce qu’en font nos voisins n’est pas pour autrui, mais pour eux ; ils croient se protéger en se découvrant : c’est exactement l’inverse de ce que l’on voit ailleurs. Et tandis qu’ailleurs on procède par hypothèse, ils s’appuient, eux, sur l’expérience. Ils ont vu ce que la liberté coûte et ce qu’elle produit ; connaissant sa vertu, ils se l’appliquent à de plus fortes doses. Personne ne les y pousse, personne ne les imite ; ils n’en persistent pas moins. Ils voient que les dégrèvemens de taxe portant sur de certains objets aboutissent, après un bref délai, à de plus fortes rentrées de taxes ; ils dégrèvent. Ils voient que la suppression d’autres droits répand le bien-être et calme les agitations populaires ; ils les suppriment. Ils voient enfin que le pays porte avec aisance les plus lourds fardeaux, des armemens ruineux, les frais de querelles lointaines, les