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systématiques de la paix, la circonstance était critique ; ils venaient de se séparer des whigs, leurs alliés naturels. On était au printemps de 1857 ; depuis trois ans, les esprits étaient animés par le souffle de la guerre ; l’indifférence et la tiédeur passaient pour suspectes ; encore moins supportait-on une résistance à ce qui faisait battre d’orgueil le cœur du pays. Les élections eurent lieu sous cette impression. Au scrutin, MM. Cobden, Bright et Milner Gibson restèrent en minorité de voix. Le châtiment était rude, et il portait sur des noms auxquels on ne pouvait refuser ni la considération, ni l’éclat, ni le mérite des services.

Que devenait, pendant cette expérience malheureuse, l’idée plus juste et plus féconde à laquelle M. Cobden devait sa célébrité ? Pour en suivre la marche, il faut remonter de quelques années en arrière. À peine les réformes commerciales étaient-elles inscrites en germe dans la loi anglaise que M. Cobden eut de plus grandes ambitions pour elles ; il songea à les introduire dans les états du continent. Il ne lui suffisait plus d’avoir converti l’Angleterre, il voulait convertir l’Europe : entreprise difficile avec les préventions qui s’attachaient à son nom, et surtout prématurée tant que l’expérience insulaire n’aurait pas dit son dernier mot. S’y prendre de si bonne heure, n’était-ce pas prêter le flanc au soupçon et fournir aux défenseurs des tarifs un de ces argumens qui font leur chemin d’une manière d’autant plus sûre qu’ils sont moins sérieux ? Un Anglais prêchant le libre échange, quel piège ! Évidemment on n’avait pris l’avance au-delà du détroit que pour nous entraîner ; la manœuvre se démasquait d’elle-même. Comment supposer qu’un peuple si préoccupé de ses intérêts donnât aux autres un conseil qui ne fût pas entaché d’un sentiment d’égoïsme ? Que pouvait-il nous venir de là, si ce n’est la ruine de nos manufactures, de nos forges, de nos propriétés minérales et forestières ? Plus que jamais il fallait se tenir sur ses gardes et repousser l’épidémie par un cordon sanitaire de plus en plus impénétrable. Ainsi, par un renversement d’idées, la présence du chef de la ligue allait contre son but, et créait plus d’embarras qu’elle n’apportait de force au petit nombre d’hommes qui, en France surtout, s’étaient dévoués à la défense de la liberté commerciale. M. Cobden ne s’arrêta point, et il fit bien, devant les commentaires malveillans. C’était de son plein gré et avec un complet désintéressement qu’il voulait répandre des principes dont la vertu lui était démontrée, et qu’il croyait bons pour tous les pays, quelle que fût la condition de leurs industries. Échouât-il dans ce dessein, il aurait au moins l’avantage de se mettre en rapport avec ceux qui partageaient ses idées. Il quitta l’Angleterre dans les derniers mois de 1846.