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poids du droit et de la loi universelle des nations, il se rejette avec une astucieuse modestie sur l’infériorité du Paraguay. En un mot, il veut rester maître chez lui envers les étrangers comme envers les nationaux, et réellement il est tout dans son pays, il dispose de tout, il règle tout ; les Paraguayens ne se marient même pas sans sa permission. Il ne supporte autour de lui aucune influence, pas même celle de son fils, le général Solano Lopez, qui, soit calcul, soit soumission volontaire, ne contrarie d’ailleurs en rien son père. Avec cela, il a réalisé sans doute quelques progrès, mais il s’arrange pour que tout se fasse par lui et rien que par lui : homme bizarre et original après tout, qui continue dignement le système du docteur Francia. Le président Lopez vieillit cependant, et il est atteint d’infirmités incurables, dues à la vie laborieuse qu’il mène, à la tension permanente de toutes ses facultés, incessamment occupées des plus infimes minuties du gouvernement. On lui a prescrit le repos, il n’a pu s’y assujettir, car il s’est tellement accoutumé à cette vie de préoccupations jalouses, que le repos le tuerait, comme cette vie même accélère le progrès de ses infirmités. Le président Lopez n’aura pas moins été une des curieuses figures de l’Amérique du Sud, et sans sortir de cet isolement au sein duquel il se retranche avec une ténacité difficile à vaincre, on le voit encore, en 1859, mettre la main à une des plus sérieuses affaires de ces contrées, à la pacification de la république argentine.

Passons la République-Orientale, qui n’est pas encore si loin des révolutions intérieures qu’elle n’en porte toutes les traces, et dont l’impuissance est rendue plus palpable par le traité signé le 2 janvier 1859 entre la Confédération Argentine et le Brésil pour consacrer la neutralité perpétuelle du territoire de l’Uruguay. Par le fait, il n’y a jusqu’ici que deux états sud-américains, le Chili et le Brésil, qui, placés dans des conditions différentes, aient paru représenter sur le sol du Nouveau-Monde la paix et un progrès assez régulier. Le Chili a cessé d’être une de ces exceptions heureuses. Il vient d’avoir, lui aussi, sa guerre civile, que le gouvernement a comprimée, mais qui n’attend peut-être que le moment favorable d’une nouvelle élection présidentielle pour se réveiller[1]. Le Brésil reste donc seul ; il le doit sans contredit tout d’abord à la monarchie constitutionnelle, qui met le pouvoir souverain au-dessus des rivalités ambitieuses des chefs de hasard, en laissant aux partis la liberté de leurs luttes.

Le Brésil garde dans son existence un double caractère qui se dévoile à travers les événemens de tous les jours et qui fait son originalité

  1. Cette guerre civile a déjà été racontée dans la Revue ; voyez la livraison du 15 décembre 1859.