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alimenter son commerce, boucher les trous et combler les lacunes que laissent, en se retirant de la scène ou en disparaissant de ce monde, les anciens auteurs dramatiques.

Disette d’auteurs nouveaux et abondance de candidats dramatiques, voilà en deux mots toute la situation du théâtre. Ces candidats apportent à la scène l’inexpérience, la maladresse et la bonne volonté qui caractérisent les apprentis et les simples bacheliers en tous genres ; c’est assez dire qu’ils échappent au contrôle de la critique. Le rôle de la critique est en effet fort difficile à leur égard : si elle se montre sévère, comme elle en a le droit et comme la valeur réelle de la plupart des pièces l’y autoriserait, elle risque d’être cruelle ; si elle se montre indulgente, elle tombe dans la banalité. Sévère, elle ne tiendra pas assez compte des encouragemens qui sont dus au désir de bien faire ; indulgente, elle couvre de sa protection des entreprises malheureuses et des œuvres avortées. Le plus sage pour la critique n’est-il pas de garder à l’égard des débutans dramatiques la plus stricte neutralité, et de se contenter d’applaudir in petto aux efforts de leur bonne volonté jusqu’à ce qu’ils aient donné leur mesure et produit une œuvre qui révèle clairement ce qu’on peut attendre d’eux ? C’est là du moins l’attitude qui nous semble commandée envers les jeunes débutans à la fois par le respect qui est dû à l’art, et par la sympathie que mérite tout effort sérieux. Toutefois nous sortirons aujourd’hui de ce rôle passif, et nous présenterons à nos lecteurs deux de ces candidats dramatiques, M. Charles de Courcy et M. Amédée Rolland, parce que ces deux noms nous permettent de résumer un débat littéraire qui divise depuis longtemps les jeunes écrivains et même la plupart des critiques, et qui n’a, selon nous, aucune importance sérieuse.

La question est celle-ci : dans une production dramatique, le mérite littéraire n’a-t-il qu’une importance secondaire ? l’action doit-elle dominer avant tout, même au détriment de la poésie, de la vérité, du bon sens et de l’art d’écrire ? L’auteur dramatique doit-il dominer l’écrivain, ou l’écrivain l’auteur dramatique ? Si on vous parlait ainsi, à vous simple amateur littéraire, vous répondriez probablement que cette question n’en est pas une, et qu’en tout cas il vous semble qu’elle peut facilement être résolue. Il y a même quelque chose d’impertinent à poser une pareille question, car il est logique qu’une pièce de théâtre soit habilement conduite, puisqu’elle est destinée à être jouée, et il est fort naturel qu’elle satisfasse aux conditions de la littérature, puisqu’elle rentre dans la catégorie des œuvres littéraires. Il paraît donc tout simple qu’une pièce de théâtre soit à la fois bien conduite et écrite avec soin. Quant à la question de savoir laquelle est préférable de deux pièces où ces deux élémens de l’action et du style sont inégalement associés, elle me paraît