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REVUE DES DEUX MONDES.

libéraux que l’appui accidentel des radicaux, ou de ces membres excentriques et indisciplinés que nos voisins appellent des bachi-bozouks. C’est la première fois qu’une section aristocratique de whigs vote avec eux. Il est probable que, sanctionné par une si faible majorité de la chambre des communes, le bill sera rejeté par la chambre des lords. C’est un échec pour la politique confiante de M. Gladstone, c’est un premier ébranlement donné au cabinet actuel. Comment ce cabinet se soutiendra-t-il, si, comme on l’assure, — et comme le donne à craindre la présence, aux bords du Pruth, d’un gros corps d’armée russe, lequel évidemment attend là quelque chose, — la question d’Orient est sur le point de s’ouvrir ?

E. Forcade.



REVUE MUSICALE.

La saison du Théâtre-Italien s’est terminée avec plus d’éclat qu’elle n’avait commencé. L’arrivée de M. Tamberlick, qui a chanté successivement dans Otello, il Trovatore, Rigoletto, Poliuto, et même une fois dans Don Giovanni, a ravivé la curiosité du public, qui ne manque jamais à aucun des plaisirs délicats qu’on lui prépare. Le Théâtre-Italien surtout, contre lequel nous élevons souvent une voix amie, comme on gronde volontiers les gens qu’on aime, est certain d’attirer la foule, et la foule d’élite, toutes les fois qu’il donnera un vieux chef-d’œuvre passablement interprété. Nulle part à Paris on ne chante mieux qu’à la salle Ventadour, et rien ne saurait tenir lieu d’une voix humaine bien exercée exprimant un sentiment de l’âme dans une belle phrase mélodique. Jusqu’à ce que M. Richard Wagner et les barbares qu’il traîne à sa suite aient changé tout cela, comme dit Sganarelle, l’opéra italien, avec les qualités et les défauts qui lui sont propres, sera recherché et goûté en Europe et dans le monde entier par la grande majorité du public intelligent. Voyez plutôt ce qui se passe en Allemagne. Une troupe de chanteurs italiens qui n’était pas composée d’artistes de premier ordre a charmé pendant tout l’hiver les dilettanti de Berlin, de cette ville protestante et dédaigneuse, toute confite dans l’admiration de Bach, de Graun et de Mendelssohn ! À Vienne, malgré les événemens qui se sont passés en Italie, la musique et l’art de Cimarosa et de Rossini ne tarderont pas à y être réinstallés, le public ne voulant pas s’accoutumer aux douceurs du Tannhauser et du Lohengrin. C’est ce que l’Allemagne peut faire de mieux dans la crise où se trouve la musique dramatique de ce grand et poétique pays que de revenir à l’opéra italien, qui a fait l’éducation de Gluck, d’Haydn, de Mozart, de Weber même, et de tous les compositeurs dramatiques qui sont parvenus à bien écrire pour la voix humaine. L’Allemagne ne perdra pas dans ce contact avec l’art italien le génie grandiose et lyrique qui lui a fait créer des merveilles dans la musique instrumentale. Tant que l’on chantera dans ce monde, il faudra suivre les erremens d’une nation heureusement douée, qui a créé pour ainsi dire la musique vocale.

Parmi les représentations intéressantes du Théâtre-Italien pendant la saison qui vient de finir, nous devons mentionner celle du Matrimonio Segreto de Cimarosa, qui ne vieillit pas, quoi qu’on fasse, et celle de Don Giovanni,