Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/534

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le monde, signalée, nous n’en doutions point, par une nouvelle victoire pour nos armes. C’était le 20 mai, sur une terre en pleine floraison, qu’avait lieu ce premier combat. Les boulets déchiraient la robe du printemps, toutefois sans offenser ses charmes, car, je le répète souvent, parce que je l’ai éprouvé sans cesse, rien qui soit dans un accord plus harmonieux que les attraits d’une belle contrée et les émotions de la guerre. Ce sont ces émotions-là qui gagnent plus encore que cette musique dont parle Shakspeare à passer au-dessus de la verdure et des fleurs.

Le 21 mai dans la nuit, le maréchal Canrobert recevait l’ordre de quitter Tortone et d’aller remplacer à Ponte-Curone le maréchal Baraguay-d’Hilliers, qui allait, lui, établir son quartier-général à Voghera. Cette ville, située tout près du lieu où s’était passée l’action de la veille, offrait le 21 mai au matin un spectacle attendrissant et radieux. Ce spectacle, je pus en jouir, car, avant de s’installera Ponte-Curone, le maréchal Canrobert voulut aller lui-même visiter le nouveau quartier-général du premier corps-. Les rues de Voghera, riantes, spacieuses, bien percées, ouvertes de tous côtés à la lumière d’un beau ciel, étaient animées d’une vie passionnée, se traduisant par cet éclat fébrile dont se revêtent les cités après une victoire remportée sous leurs murs ou dans leur sein. Toutes les maisons étaient pavoisées, et avec leurs boutonnières enrubanées, leurs chapeaux à cocarde, les habitans eux-mêmes semblaient pavoises comme leurs toits. Un général ne pouvait se montrer, une troupe en armes ne pouvait faire un pas, sans soulever un ouragan de cris enthousiastes. Cette joie violente qui agitait la foule avait pour sœur une joie plus émouvante encore, la joie recueillie et réservée de nos soldats. Les combattans de Montebello avaient sur leurs traits cette étrange empreinte que laisse sur les visages la première journée de poudre : c’est comme la trace d’un bonheur que l’on porte en soi et que l’on savoure secrètement. Réunissez dans un même groupe, au commencement d’une guerre, ceux qui n’ont pas encore vu l’ennemi et ceux qui déjà lui ont laissé de terribles souvenirs : un œil exercé les distinguera. Ainsi, avec des physionomies diverses, nombre d’hommes se réjouissent à Voghera ; toutefois nombre d’hommes y souffrent : de là ce fébrile éclat dont je parlais. Cette guerre italienne m’a fait songer souvent à ce vin renfermé dans des coupes précieuses sur lequel les anciens effeuillaient des roses. Cette fois ce n’est pas sur le vin, c’est sur une liqueur plus généreuse que s’effeuillent les fleurs de l’Italie : c’est sur le sang de nos soldats.

Le maréchal Canrobert visite avec le maréchal Baraguay-d’Hilliers l’ambulance improvisée que l’on a établie dans une maison de