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vahi par une bande de paysans. Voilà aussitôt le roi debout et les nouveau-venus qui l’entourent avec des attitudes, avec des gestes, tout ce luxe de démonstrations qui n’appartient qu’aux races italiennes. Ces villageois étaient des habitans de Robbio qui venaient apprendre à leur souverain que les Autrichiens étaient en retraite. L’ennemi, tant qu’il avait été parmi eux, leur avait assigné leur village pour prison. Ils se dédommageaient d’une captivité qui, à en juger par la volubilité de leurs paroles, semblait surtout avoir pesé sur leurs langues. Le roi était assailli par vingt récits à la fois, récits tout remplis d’attendrissemens et de bouffonneries, car l’Italie, comme les muses antiques, tient un masque à la main, un masque qu’elle manie avec la prestesse, la verve et l’entrain des Espagnoles dans la manœuvre de l’éventail. Ce masque joyeux, tantôt elle l’écarte, tantôt elle le rapproche de son noble et sérieux visage. Quelquefois les traits épanouis de la face en carton s’éclairent d’une lumière douloureuse : c’est qu’aux fentes du masque vient de se coller un œil plein de larmes.

Au moment où se passait cette scène, la dépêche de l’empereur arriva. Le maréchal reçut l’ordre de se diriger sur Novare. Ainsi se déroulait le plan qui devait aboutir à la victoire de Magenta. Ce fut le vendredi 3 juin que le corps du maréchal Canrobert quitta Palestro. L’étape que nous avions à faire était courte. Nous suivions une route unie dans un pays plat. Novare nous apparut de bonne heure, et nous causa une agréable impression. La ville était toute remplie d’une allégresse guerrière. L’air, où pleuvaient en cet instant les fleurs, était imprégné d’une odeur récente de poudre. Il y avait trois jours à peine, une batterie autrichienne enfilait la grande rue, maintenant pavoisée aux couleurs italiennes, où nous avancions sous la grêle des bouquets, et jetait de la mitraille à la tête de nos premières colonnes. L’ennemi toutefois n’avait pas cherché à nous disputer sérieusement cette cité. Les pièces qui avaient accueilli nos soldats par une brusque décharge s’étaient retirées au galop. Les Autrichiens ne voulaient point tenter de nouveau la fortune sur le champ de bataille où l’âme intrépide de Charles-Albert reçut une mortelle atteinte. Ils nous attendaient derrière le Tessin, dans ces positions formidables que nous devions aborder et enlever comme celles de l’Alma.

Le maréchal Canrobert descendit dans une grande maison située à l’extrémité de la ville. Aux fenêtres de notre demeure apparaissaient tant de têtes gracieuses, que nous aurions pu nous croire logés dans un couvent de jeunes filles. Aux mauvais jours de nos discordes civiles, chacun a répété cette phrase : « Il y a des hommes qui semblent surgir des pavés. » Aux heures dont j’ai gardé le sou-