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j’aimerais à mettre le volume qui, dans sa saisissante unité, nous fait embrasser la catastrophe en regard du grand monument où l’empire élève successivement ses hautes assises sur une base inconsistante ; après avoir pénétré jusqu’à cette base même, je voudrais montrer, le livre de M. Thiers à la main, ce qu’il y eut, non pas d’excessif, comme on l’admet généralement, dans les ambitions impériales, mais de radicalement faux dans la pensée sur laquelle s’éleva le premier empire, pensée prédestinée à une issue funeste, parce qu’elle engageait avec le siècle l’une de ces luttes à mort où l’esprit des temps finit toujours par triompher du génie des princes.


I

Les grands services font les grands hommes, car la vraie gloire n’appartient qu’aux idées fécondes. Pyrrhus bouleversant la Grèce et l’Italie, Charles XII ruinant son pays dans des entreprises impossibles, sont d’héroïques aventuriers qui n’ont apporté aux peuples que des douleurs stériles et des maux sans compensation ; étrangers au chœur immortel des initiateurs de l’humanité, ils laissent dans l’histoire une trace moins lumineuse que sanglante. Si les générations qui ont suivi Alexandre n’avaient connu que les pompes mythologiques de ses triomphes et ses courses dans les sables de la Libye à la poursuite d’une divine origine, elles n’auraient pas décerné au fils de Philippe le titre que lui a confirmé la postérité ; mais Alexandre fut l’instrument de la victoire définitive remportée parle génie de l’Europe sur le génie asiatique, de la personnalité intelligente et libre sur le despotisme et l’inertie, et à ce titre il prend place à côté, pour ne pas dire au-dessus des plus grands hommes. César, en concentrant l’unité de la société romaine avant l’assaut des Barbares, prolongea de mille ans l’agonie de l’empire ; ce fut aussi pour mille ans que Charlemagne fonda sur la mystique union de l’état et de l’église l’édifice de la chrétienté, plutôt ébranlé que dissous par la réforme. Sous une inspiration également légitime, quoique moins élevée, Frédéric II créa la Prusse à force de courage et de persévérance, et le tsar Pierre osa arracher avec le fer du sein de la barbarie l’empire auquel son génie imposa une précoce virilité. Si une auréole incontestée entoure ces fronts augustes, c’est que ces grands hommes ont tous été les instrumens d’une idée vraie, d’une évolution nécessaire ou d’un progrès accompli. S’ils ont réussi, c’est que la conscience publique leur prêtait sa force irrésistible. Et voilà pourquoi, dans le cours de leur carrière accidentée, la reconnaissance des peuples ne leur tient pas moins compte des revers que des succès.

Napoléon à son tour rencontra, dans la première partie de sa carrière,