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prépare, persuadée que la régence exercée par l’impératrice au nom d’un prince de trois ans aurait le double effet de masquer la main de l’empereur et de compromettre gravement le cabinet de Vienne, l’Autriche, aux derniers jours de février, adhère donc avec éclat au traité de Chaumont, acte décisif qui constitue pour vingt ans l’armement permanent de l’Europe contre la France. C’est ainsi que dans la folle partie engagée contre les peuples tout finit par tourner contre Napoléon, jusque et y compris les faveurs les plus inespérées de sa fortune. À Presbourg, il a prétendu briser l’Europe, et par une réaction naturelle celle-ci reconstitue pour un demi-siècle à Chaumont son unité politique contre l’empire et contre la France.

De toutes parts, les difficultés s’accumulent, de telle sorte que Napoléon n’a plus à demander à la nation comme à l’armée que des choses impossibles. « Enfans, dit-il à des recrues imberbes, imitez la vieille garde, et vous ferez ce qu’elle a fait elle-même. » « Rajeunissez de vingt ans, écrit-il à Augereau, reprenez vos bottes de 93, et en vous exposant aux premiers coups vous entraînerez votre armée. » C’est ainsi qu’aux adolescens l’empereur demande la maturité, aux vieillards l’entraînement du premier âge et celui des passions qui ne sont plus. D’égoïstes repus, il attend une fidélité inviolable ; il réclame d’une population sceptique, d’une capitale riche et amollie les efforts surhumains du patriotisme et de la foi. De tous, il exige ce que personne ne veut, ni, à vrai dire, ne peut plus lui donner. Autour de Napoléon, la solitude se fait donc immense comme sa faute, et bientôt dans les cours désertes de Fontainebleau, traversées par les pas de quelques derniers serviteurs, on apprend que tout a échappé à l’ancien maître du monde, tout, jusqu’au poison et jusqu’à la mort.

Ce n’est donc pas par un coup de tonnerre que le songe impérial a fini. Si quelques gouvernemens sont tombés par surprise, d’autres par faiblesse, le nouveau Charlemagne a succombé par l’effet d’un principe faux auquel la France aurait résisté non moins énergiquement que l’univers, si on lui en avait laissé les moyens, et cette résistance aurait probablement sauvé Napoléon en la préservant elle-même. Instrument de ses desseins, elle n’en recevait pas la confidence ; encore moins fut-elle admise au droit de les discuter, lorsqu’elle était condamnée à mourir pour les accomplir.

Aussi, dans cette crise suprême, la nation posait-elle le problème de son avenir en d’autres termes que l’empereur, et déclinait-elle plus résolument chaque jour la solidarité que son chef s’attachait à établir entre deux intérêts que tant de fautes avaient rendus distincts. En mars 1814, elle croyait d’ailleurs à l’arrêt du sort contre Napoléon, et les peuples se soumettent à la fortune encore plus vite