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Ardahan. Les Lazes que Chérif-Bey avait levés se trouvaient en partie réunis sur ce dernier point ; ils n’attendirent pas l’arrivée des Russes pour se disperser et regagner leurs foyers. Le général Kowalevski, après avoir fait sauter les murailles du château d’Ardahan, se rabattit sur Akdja-Kala, où il rejoignit le général Mouravief. Cependant deux des officiers européens au service de la Turquie, le colonel anglais Lake et le baron allemand de Schwarzembourg, étaient sortis de Kars avec deux régimens de cavalerie et les bochi-bozouks pour reconnaître l’ennemi. Ils se trouvèrent en présence de ses grand’gardes, près de Masra. Un engagement s’ensuivit, mais il ne fut pas de longue durée. Après avoir échangé quelques coups de fusil avec les Cosaques, les bachi-bozouks tournèrent bride, et entraînèrent par leur exemple la cavalerie régulière, qui prit honteusement la fuite. Ce triste début ne découragea pas le colonel Lake. Le lendemain même, il se remit en campagne. L’armée russe avait franchi le Kars-Tchaï au pont de Zaïm ; elle s’avançait dans la plaine qui s’étend au pied de la ville et des hauteurs du Kara-Dagh. Le colonel attaqua aussitôt les régimens de Cosaques qui formaient son avant-garde. Mal lui en prit. Les Cosaques, traversant la ligne des bachi-bozouks, chargèrent si rudement sa cavalerie, que cette fois encore elle prit la fuite et se débanda complètement. Pour échapper aux lances de l’ennemi, les cavaliers turcs sautaient à bas de leurs montures, et se cachaient dans l’herbe prodigieusement haute qui couvre cette plaine fertile. Quelques hommes furent tués ou pris ; les autres se rallièrent à grand’peine sous le canon de la place. Le colonel Lake tenta une dernière fois de reporter les Turcs en avant sans que ce nouvel effort fût plus heureux que les autres. Les fusées lancées par les Russes suffirent pour arrêter les assaillans et les rejeter en désordre sur leurs lignes. Il fallut y renoncer. « Cette escarmouche, remarque philosophiquement le colonel Lake, nous apprit du moins que nous ne pouvions tirer le moindre parti de notre cavalerie. »

Pendant ce temps, le général Mouravief faisait la reconnaissance des positions occupées par les Turcs.

La ville de Kars s’élève en gradins sur le flanc d’un énorme rocher que couronne l’antique citadelle bâtie par le sultan Mourad[1]. Ce rocher se détache isolément d’un massif de collines dénudées, dernier contre-fort des monts Tchildir, qui enferment la plaine du côté du nord. Le Kars-Tchaï, cours d’eau peu profond, mais large et rapide, coule au pied de ces montagnes, puis, détourné par le rocher qui supporte la ville, s’engouffre dans une gorge dont les parois sont coupées à pic. La rivière divise ainsi la position en deux

  1. La situation de Kars rappelle celle de Constantine.