Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/629

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les colonnes d’assaut avaient ordre de prendre position, dans la nuit du 28 au 29 septembre, au pied des hauteurs de Chorak et de se tenir prêtes à attaquer à quatre heures du matin. Le général Maydel, commandant la colonne de droite, après avoir fait occuper par deux compagnies d’infanterie et une batterie d’artillerie légère la colline de Moukha, dernier contre-fort du plateau, devait se porter contre les lignes de Tachmas ; le général Kowaleyski, commandant la colonne de gauche, contre les lignes de Rennison. La colonne du centre, sous les ordres du général prince Gagarin, attendait en position que l’action s’engageât pour agir suivant les circonstances. Enfin les réserves, sous les ordres du général Brummer, demeuraient au pont de Koutchouk-Keuï, en arrière de la colline de Moukha. Les généraux Bazin et Baklanof devaient attaquer du côté du nord les lignes anglaises, le général comte Nyrod s’avancer dans la plaine de Kars, et exécuter ainsi, du côté du sud, une démonstration contre la partie inférieure du camp retranché.

La concentration des troupes russes s’accomplit sans attirer l’attention des Turcs. Des bruits lointains de voitures en marche, des allées et des venues de lanternes furent bien observés pendant la nuit, mais nul n’y attacha d’importance, tant chacun était persuadé que les Russes allaient battre en retraite.


« La veille encore rien n’était changé dans l’aspect de leurs campemens, dit le général Kméty[1]. Le coup de canon du soir fut tiré comme d’habitude, puis tout rentra dans le silence. La nuit s’écoula ainsi, mais à trois heures du matin des hommes hors d’haleine vinrent à mon quartier-général m’annoncer l’approche des Russes. Après avoir donné sur toute la ligne l’ordre de prendre sans bruit les armes, je me rendis aux avant-postes pour m’assurer par moi-même de l’exactitude de ces rapports. La nuit était claire, la lune encore, sur l’horizon ; néanmoins il était impossible de rien distinguer au fond de la vallée. Seulement de grands espaces sombres offraient avec le sol environnant le contraste des champs labourés au milieu des chaumes. En y regardant plus attentivement, ces champs labourés semblaient se mouvoir ; ils s’arrêtaient, puis s’avançaient de nouveau. J’approchai mon oreille du sol ; il m’apporta le bruit sourd et régulier que produit le pas de l’infanterie en marche. Plus de doute, les Russes se disposaient à nous attaquer. En effet, je vis bientôt après deux grosses colonnes se diriger, l’une sur les lignes de Tachmas, l’autre sur les lignes de Rennison. Ces dernières étaient la partie faible de la position : elles étaient situées du côté le moins escarpé du plateau, et consistaient en un simple retranchement, tandis que la partie de la flèche de Tachmas qui avait été fermée à la gorge offrait aux troupes de Hussein-Pacha un asile où elles pouvaient se maintenir. En conséquence, je me contentai d’envoyer un bataillon de renfort à Hussein-Pacha, et je gardai avec moi l’autre bataillon et les cinq

  1. A Narrative of the Defence of Kars on the 29 septembre 1855, by George Kméty ; London 1856.