Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/638

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Par malheur l’épuisement des Turcs en hommes et en argent était absolu. Il fallut attendre la prise de Sébastopol. Encore le général Pélissier tenait-il à son idée, et ne voulait-il dans les premiers temps concéder à Omer-Pacha que trois bataillons de chasseurs. Ce fut seulement à la fin de septembre qu’il autorisa l’envoi en Asie d’un corps de 16,000 hommes. Omer-Pacha, qui dans l’intervalle s’était rendu à Constantinople, puis à l’armée de Bulgarie pour tout disposer à l’avance, avait 15,000 hommes prêts à s’embarquer à Sisopolis. Avec les troupes qui formaient la garnison de Bathoum, il se trouvait à la tête de 40,000 hommes, chiffre très supérieur à celui qu’il avait primitivement demandé. On est cependant fondé à croire qu’au moment d’agir il sentit faiblir en lui la résolution dont il avait fait preuve jusque-là ; du moins, une fois en Asie, le voyons-nous procéder avec une lenteur inconcevable.

La garnison de Kars en était réduite aux dernières extrémités. Pour la sauver, il ne fallait pas perdre un jour. Or qu’arrive-t-il ? Au lieu de débarquer à Redout-Kalé et de gagner ensuite rapidement Koutaïs, le serdar change de projet et se décide à prendre pour base d’opérations Soukoum-Kalé, port situé à une vingtaine de lieues plus au nord : il se donne ainsi un trajet double à parcourir pour arriver à Koutaïs. Cette faute à elle seule décidait du sort de la campagne ; mais ce n’est pas tout. Une fois à Soukoum-Kalé, le serdar y perd un mois. Le mécontentement que cause sa conduite à Constantinople ne lui permettant plus de différer davantage, il prend son parti, et le 1er novembre rejoint enfin avec le gros de son armée son avant-garde, qu’il avait portée à Ertitschali, village situé à une faible distance de l’Ingour. Il avait alors sous ses ordres trente-deux bataillons d’infanterie, quatre bataillons de chasseurs à pied, un millier de cavaliers, vingt-sept pièces d’artillerie, dix obusiers de montagne, en tout une trentaine de mille hommes. Les Russes se disposaient à défendre le passage de la rivière au gué de Rouki, ils avaient élevé des batteries dont le feu balayait le gué ; mais ils n’avaient que sept bataillons d’infanterie de ligne, trois mille hommes de milice, et une multitude confuse d’indigènes armés. Malgré la disproportion des forces, le serdar n’ose risquer un passage à la vue de l’ennemi, et se décide à manœuvrer. Pour masquer le mouvement qu’il médite, il fait élever deux batteries en face de la position occupée par les Russes. Ces batteries ouvrent leur feu le 6 novembre. Le serdar laisse sur ce point une brigade destinée à les protéger, et descend avec le gros de ses forces le cours du fleuve. À la faveur des forêts qui couvrent le pays, il gagne ainsi sans être aperçu le gué de Koki. Il prend position dans une longue île qui sépare le fleuve en deux bras, et s’efforce de passer la rivière sous le feu de