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dans les terres vers Porto-Morcote, et plus profondément vers Capolago ; le petit golfe de Ponte-Tresa tourne au nord-ouest, et celui d’Agno, plus allongé, au nord. Après un moment de réflexion, il me sembla qu’en marchant vers le sud nous trouverions plus aisément une villa bien située ; mais à peine étions-nous arrivés en face du San-Salvadore que le duc voulait déjà descendre au village de Paradiso. Ce village, bâti au pied de la verte montagne, se compose de maisons peintes en gris, en jaune et en rose pâle, d’une construction très régulière, qui baignent leurs pieds dans les ondes du Lago-Ceresio. Au-dessus du Paradiso, consacré à l’industrie de la soie, qui occupe dans le Tessin un grand nombre de bras, s’épanouissent sur des sillons soigneusement cultivés des mûriers au feuillage lustré. À mesure qu’on s’élève sur les pentes du San-Salvadore, les mûriers sont remplacés par des arbres forestiers, puis par des buissons, qui poussent avec une sorte d’ardeur dans les flancs du rocher, revêtu jusqu’à son sommet d’un opulent manteau de verdure. Le duc, sans même jeter un regard sur le site, déclara qu’il était inutile d’aller plus loin. Il craignait, disait-il, de s’aventurer à une trop grande distance de la ville, n’ayant aucune espèce de penchant pour la vie de chalet, et n’entendant nullement renoncer à « ses aises. » Sans s’apercevoir du sourire ironique qui donnait un nouveau charme à la belle figure de sa femme, sans même lui demander son avis, il développait son opinion avec la vivacité étourdie d’un enfant égoïste et entêté ; mais s’il avait la pétulance de l’enfance, il en avait aussi la mobilité, et comme Ghislaine ne paraissait pas très pressée de s’établir au milieu des magnaneries, je décidai assez facilement le duc à continuer notre voyage.

Une révolution géologique a détaché du San-Salvadore et jeté dans le lac le promontoire de San-Martino, séparé des flancs arides de la montagne par la route soigneusement entretenue qui suit le Ceresio à travers des arbres, des arbustes et des fleurs de toute espèce. Les châtaigniers, les mûriers, les oliviers, les hêtres, se mêlent aux clématites des haies, aux vignes vulpines, aux cytises et aux chèvrefeuilles. Quand les lis bulbifères étalent sur le rocher leurs fleurs campanulées, d’un pourpre éclatant, on croirait voir briller dans les halliers le flammeum qui flotte en Albanie sur le front des épouses. Malheureusement, non loin du promontoire s’élèvent les ruines d’un château, asile bien-aimé des vipères, qui fourmillent à la base du San-Salvadore, et dont les murailles poudreuses sont surmontées de pâles oliviers, étages d’une manière tellement symétrique, qu’à une certaine distance ils paraissent former une crête sur la cime de la montagne. Au lieu d’appeler l’attention de mes compagnons sur la physionomie de ce paysage, j’entamai de