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semblent se perdre avec regret. Quand on atteint le pied du Monte-Cenere, on trouve Magadino, dont les murs sont ornés de fresques représentant des saints qui ne parviennent pas à préserver les habitans de la malaria. Les maisons se mirent dans l’azur profond du lac, qui se prolonge au loin à travers les gorges vertes des montagnes. En face de Magadino s’épanouit Locarno, avec ses citronniers, ses arcades élancées, ses maisons aux couleurs vives et aux contrevens bigarrés. Tandis que Magadino est privé pendant trois mois des rayons du soleil, Locarno jouit perpétuellement d’un climat vraiment italien, sans toutefois être complètement à l’abri de la mal’aria, fléau engendré par l’incurie, et dont sont préservés Bellinzona, Lugano et Mendrisio.

Après avoir traversé le lac en bateau, je me décidai, sous la voix d’un secret pressentiment, à me diriger sur-le-champ vers le sanctuaire le plus fréquenté du Tessin. Dans la montagne, au milieu d’un large ravin, apparaît un roc sur lequel sont construites les chapelles qui mènent à la Madonna del Sasso (Madone du Rocher). La pente est assez douce et couverte de bouquets d’arbres. Ln limpide ruisseau descend vers Locarno, le long du rocher et par un double lit, en formant sur sa route de petites cascades dont la voix se mêle aux cris des cigales.

Lorsque je me présentai à l’entrée de l’église, la porte en était ouverte. Dans ce temple charmant, éblouissant de dorures, régnait la plus agréable fraîcheur. Au dehors, au contraire, un ardent soleil brûlait les dalles ; les pavés étincelaient ; les larges fleurs de pourpre d’un cactus placé à une des fenêtres du couvent pendaient languissamment le long de la grille de fer ; un souffle embrasé pénétrait la nature tout entière. Jamais je n’avais aussi bien compris qu’en ce moment le penchant qui entraîne les populations du midi, en Asie comme en Europe, dans l’Hindoustan comme en Italie, vers la quiétude monastique. Le climat dévorant du sud produit les moines, comme la Scandinavie et la Grande-Bretagne les soldats et les agriculteurs.

Pendant que je respirais avec bonheur la tiède atmosphère de l’église, mes yeux s’arrêtèrent sur un petit groupe de pèlerins qui s’étaient beaucoup plus que moi rapprochés de l’autel. En avant de ce groupe, une jeune femme assise semblait plongée dans une profonde méditation. Je reconnus Ghislaine. Comme mon entrée s’était faite sans bruit et que je me tenais auprès du portail, personne ne s’était aperçu de ma présence. Je pus donc contempler la jeune duchesse à loisir. Son attitude n’était point celle d’une chrétienne tourmentée par le sentiment d’une grave erreur ou le repentir d’une grande faute. L’invincible obstination de son esprit la préservait encore,