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Quel que soit, du reste, le jugement que l’on porte sur le caractère et sur le talent du Pérugin, à l’époque où Raphaël entra dans son école, le maître ombrien était dans toute sa force, et il n’avait pas encore adopté cette manière expéditive, négligée, ces répétitions perpétuelles des mêmes compositions, des mêmes types, des mêmes impressions, qui ne sont plus d’un artiste, mais d’un spéculateur qui aurait pris la peinture religieuse pour objet de son industrie. Raphaël resta dans son atelier, presque sans interruption, jusqu’à 1504. Pendant ces six ou huit années, malgré la précocité de son talent, il paraît s’être religieusement conformé aux enseignemens du maître et s’être très docilement soumis à une discipline qui était beaucoup plus sévère dans l’école d’Ombrie que dans celle de Florence. Aussi ne peut-on distinguer qu’avec peine quelques-uns de ses premiers ouvrages de ceux du Pérugin, et sans les renseignemens précis qui suppléent à l’insuffisance du caractère personnel, il serait permis de confondre plusieurs des tableaux de l’élève avec ceux du maître. Raphaël avait trouvé dans l’atelier de Vannucci plusieurs jeunes peintres de son âge, Gaudenzio Ferrari, Domenico di Paris Alfani, Girolamo Genga d’Urbino, avec lesquels il s’était beaucoup lié. Il s’attacha tout particulièrement à Giovanni di Pietro, surnommé le Spagna. Dans cette admirable contrée de Pérouse, entouré d’amis de son choix, celui qu’on a avec tant de raison appelé il graziosissimo prolongeait son adolescence, sans paraître désirer d’essayer de trop bonne heure ses propres forces. Son activité était cependant très grande, car M. Passavant ne compte pas moins de vingt-six tableaux de Raphaël qu’il rapporte à cette première période. Déjà ses productions avaient cette facilité sans négligence, cette aisance de facture dont il donna plus tard de si étonnans exemples, et à défaut d’originalité dans les compositions, qui rappellent trop celles de son maître, une suavité et une grâce qui font pressentir le divin Raphaël de Florence et de Rome.

Dès l’année 1500, pendant un séjour que le Pérugin fit à Florence, le Sanzio, âgé de dix-sept ans seulement, se rendit avec quelques-uns de ses amis à Città di Castello, et y fit plusieurs tableaux qui, pour être peints de sa main, n’en sont pas moins presque entièrement péruginesques de composition et de facture, mais auxquels leur date donne un intérêt particulier. Le Couronnement de saint Nicolas di Tolentino par la Vierge et par saint Augustin, que Lanzi put voir dans son intégrité avant que Pie VI eût fait séparer du reste le haut du tableau, qui représentait le Père éternel entouré d’anges, est malheureusement perdu[1] ; mais d’après l’historien,

  1. Les moines de Saint-Nicolas le vendirent en 1789 au pape, qui le fit couper en plusieurs morceaux. Il resta au Vatican jusqu’à l’entrée des Français à Rome. Depuis ce moment, on en a perdu toutes traces.